Louis XIV - Tome 2 - L'hiver du grand roi
le roi d’Angleterre pour tellement pieuse et humble que la reine la prenait pour une sainte… Mais bien que je ne sois plus jeune, la vieille conne est plus âgée que moi, j’espère donc que j’aurai avant ma fin le plaisir de voir crever la vieille diablesse. »
Il se sent au-dessus de ces querelles, de ces passions médiocres. Il est le roi. Rien, hormis la mort, ne peut et ne doit l’atteindre.
10.
Il s’avance vers le lit où est couchée Marie-Anne de Bavière.
Et au fur et à mesure qu’il s’approche de la dauphine, il sent cette odeur écœurante, douceâtre et putride qui est celle de la mort.
Il se tourne vers le dauphin qui se tient derrière lui à trois pas. Mais son fils paraît absent, comme s’il refusait de voir que la mort est à l’œuvre, que sa femme agonise.
Il se souvient des propos de la princesse Palatine, lus dans l’une de ses innombrables et insupportables lettres, que pourtant il ne se lasse pas de parcourir, comme si c’était seulement à travers elles qu’il pouvait voir ce qui se cache derrière les décors de la Cour et les visages.
La princesse Palatine, qui rencontrait presque chaque jour Marie-Anne de Bavière, Allemande comme elle, avait à plusieurs reprises fait état de la mauvaise santé de la dauphine, jamais remise de l’accouchement de son dernier fils, le duc de Berry. Elle vivait loin de la Cour, blessée par les aventures galantes de son mari, ne trouvant quelque plaisir que dans les concerts qu’elle organisait, conviant chez elle les violons du roi.
La princesse Palatine a écrit :
« On tue la dauphine à force de déboires. On fait tout ce qu’on peut pour me réduire au même état ; mais je suis une noix plus dure que Marie-Anne de Bavière. Avant que les vieilles femmes m’auront bouffée, elles pourraient bien perdre quelques dents, car bien qu’on cherche à me chagriner en tout, et que le roi me traite très mal du fait de la méchanceté et des mauvais offices de la vieille sorcière, je prends sitôt mon parti et vais mon chemin et je prends grand soin de ma santé pour la faire enrager. »
Louis n’avait pas évoqué avec le dauphin l’état de sa femme.
Il le regrette.
Peut-être aurait-il dû exiger de son fils qu’il traitât autrement la dauphine. Peut-être a-t-il été retenu par le souvenir de ce qu’il avait lui-même infligé à la reine Marie-Thérèse.
Et il n’a pas mesuré la gravité de la maladie de la dauphine.
On disait « langueur ». Aucun médecin n’avait prévu que la fin fût si proche.
Il était donc parti pour Marly où, avec Françoise de Maintenon et les quelques dizaines de courtisans privilégiés qu’il avait conviés, il avait séjourné trois jours.
Et puis cette dépêche. La dauphine avait été saignée et d’un abcès s’était écoulée une grande quantité de pus.
Il est rentré en hâte à Versailles.
Il a entendu Bossuet administrer les derniers sacrements.
Il est minuit, ce 19 avril 1690. Puis, dans la matinée du 20, la dauphine a commencé à murmurer, à faire comprendre qu’elle voulait parler à son mari, Monseigneur le dauphin, à ses fils, les ducs de Bourgogne, d’Anjou et de Berry.
Elle a recommandé ce dernier à la princesse Palatine et il a entendu les derniers mots qu’elle a prononcés à son amie :
— Je prouverai aujourd’hui que je n’étais pas folle quand je me plaignais et disais que j’étais malade.
Elle a béni ses trois fils, et dit au duc de Berry :
— Berry, tu sais que je t’ai tendrement aimé, mais tu me coûtes bien cher.
Louis s’est approché du lit.
Elle murmure quelques mots. Elle a toujours été, dit-elle, respectueuse de Sa Majesté. Elle lui demande de veiller sur ses trois fils. Il entend dans cette voix voilée le souffle rauque de la mort. Il voit que Monseigneur le dauphin s’éloigne, comme s’il ne voulait pas assister à la mort de sa femme.
Le duc de Bourgogne pleure. Louis le réconforte. Il apprécie ce petit-fils.
Il lui a donné pour gouverneur le duc de Beauvillier – l’époux d’une fille de Colbert –, et celui-ci a choisi pour précepteur Fénelon, un évêque aux allures de grand seigneur, qui a évangélisé les hérétiques.
Fénelon est, dit-on, l’ami d’une certaine Mme Guyon, une étrange mystique, auteur d’un opuscule, Moyen court de faire oraison , dont se sont entichées les dames de la Cour, et même Françoise de Maintenon, qui fait grand cas de
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