L'ultime prophétie
des sœurs telles que vous, une mariée n'a guère
besoin d'une belle-mère. Les dieux auront peut-être plus de tact.
— Il s'agirait là d'une vraie surprise, marmonna Tess.
Au fond d'elle-même, elle sentit un sentiment de colère se
réveiller — à l'idée que le bonheur de sa sœur fût assombri, à l'idée de la souffrance
de tous, à cause du passé mais aussi de l'avenir.
Personne, se dit-elle en pressant le pas vers le temple, ne
devrait souffrir du fait d'événements à venir. Or ce chagrin, semblait-il, faisait
partie du destin des Ilduins.
***
— Le jeune prophète émerge, dit Erkiah en souriant à la
vue de Tom. Bien que, à présent que tu es un homme marié, je suppose que le
terme «jeune » ne s'applique plus à toi. Dis-moi, Tom, pourquoi n'es-tu pas
dans les bras de ta nouvelle épouse ?
Tom rougit derrière le masque de cuir qui lui recouvrait les
yeux, ne laissant que quelques trous minuscules pour lui permettre de voir.
Depuis que Tess l'avait guéri des blessures qu'il avait reçues au cours d'une
embuscade bozandari sur la route d'Anahar, ses iris étaient devenus si pâles
qu'il ne pouvait plus supporter la lumière vive. Le bandeau que Tess avait eu
l'idée de lui fabriquer l'empêchait d'être totalement aveugle.
— J'ai fait semblant de dormir. Je l'aime plus que tout
mais nous avons été si occupés à préparer le mariage ces derniers jours... et
mes études me manquaient.
Erkiah leva une main apaisante.
— Ne t'excuse pas, mon ami, ni auprès de moi ni auprès
d'elle. Visiblement, elle n'a pas attendu longtemps avant d'aller rejoindre ses
sœurs au temple pour y poursuivre sa propre tâche. En d'autres temps, des
amants se seraient émus à une telle idée. Mais vous savez tous les deux que
beaucoup reste à faire en peu de temps. Ce qui est dommage, c'est que vous
n'ayez pu en parler ouvertement l'un à l'autre.
— Je crains de ne pas être encore habitué au mariage. Et
Sara non plus, je présume.
— Je prie pour que vous ayez le temps de vous y habituer,
dit Erkiah, le visage empreint de tristesse. En dépit de tout ce que nous avons
traversé, le pire reste à venir.
— Et la force de Maître Archer faillira, dit Tom.
Erkiah hocha la tête.
— Malheureusement, oui. Ainsi le dit la prophétie. Il nous
incombe de découvrir comment et quand, et de nous tenir prêts à lui venir en
aide.
— Montrez-moi ces prophéties, je vous prie, dit Tom en se
dirigeant vers les étagères où Erkiah rangeait ses parchemins. Rien de ce que
nous aurons appris ensemble n'aura d'importance si nous nous trompons sur ce
point.
— Tu dis vrai. Si ma mémoire est bonne, ce texte se trouve
sur la seconde étagère, c'est le troisième à partir de la droite.
— Si la mémoire vous faisait jamais défaut, repartit Tom
en se saisissant du parchemin, les dieux eux-mêmes trembleraient de peur.
— Tu m'accordes bien trop de crédit, dit Erkiah en riant.
Je ne suis qu'un homme. En tant que tel, je puis me tromper.
— Pas sur les sujets essentiels.
Tom le regarda puis déroula le parchemin.
— Eshkaron Treysahrans . Votre mémoire ne vous fait
pas défaut.
Erkiah hocha la tête et regarda son disciple étaler le texte
ancien sur la table et placer des bougeoirs dans les coins.
Il frissonna.
— Si seulement j'avais oublié. C'est un texte que je n'ai
pas lu depuis ma jeunesse. Il m'a tellement effrayé que je ne l'ai plus jamais
touché, si ce n'est pour le mettre dans mes bagages et le sortir à mon arrivée
ici.
Tom l'observa gravement. Ce n'était pas là l'Erkiah qu'il
avait appris à connaître, sans cesse désireux d'apprendre.
— Je vous demanderais bien pourquoi ce texte vous a
effrayé mais je connais déjà la réponse : vous me direz de le lire.
— C'est vrai. Bien qu'on ne puisse guère parler ici de
prophétie.
— Bien sûr que non, répliqua Tom en souriant. Je ne
faisais que répéter ce que vous dites toujours.
— La vraie magie serait de me dire pourquoi je prononce
les mêmes paroles chaque fois.
Tom secoua la tête.
— Non, il n'est pas nécessaire d'être prophète pour cela.
Si je me contente de retenir tout ce que vous dites, je ne pourrai jamais être
davantage qu'un pâle reflet de vous-même dans le miroir du temps. Vous voudriez
que je sois plus que cela et c'est pourquoi vous me forcez à lire les textes
moi-même et à vous lancer des
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