L'ultime prophétie
bataille.
Ratha se tordit les mains. Tess les prit dans les siennes.
— Je suis navrée, Ratha. Malheureusement, il semblerait
que les dieux ne veulent pas nous donner le temps du deuil et celui de panser
nos plaies. Il nous faut rassembler cette armée très vite.
L'expression de Ratha se fit plus dure encore puis, au prix
d'un effort visible, il se détendit.
— Oui-da. Que voulez-vous que je fasse ?
— Il doit y avoir un moyen pour que Tuzza et toi soyez vus
en train de vous réconcilier et de mettre de côté vos rancœurs passées. Tous
savent que Tuzza a tué Giri parce que celui-ci avait tué un officier qu'il
appréciait grandement. Vous avez beaucoup souffert tous deux... mais comprends-moi
bien, Ratha. Je ne veux pas minimiser la perte que représente Giri pour toi. Il
me manque à moi aussi.
— Je vous crois. Il ferma les yeux comme pour ne plus voir
le monde — ou ses souvenirs. Je le vois toujours tuer mon frère. Cette image
est gravée dans mon esprit. L'épée qui s'abat, étincelante, sur sa tête...
Il frissonna, les yeux toujours clos.
— Vous n'avez pas idée de ce que vous me demandez. Je veux
bien faire la paix avec n'importe qui d'autre. Mais avec Tuzza...
— Je comprends, Ratha. Crois-moi, je comprends. Nos
esprits sont tous emplis des atrocités de cette bataille. Nul n'a échappé à la
perte d'un être cher. Mais pour avoir un avenir, nous devons mettre de côté nos
blessures. Sinon la guerre ne finira jamais.
Le regard de Tess se fit distant et elle se balança
légèrement, comme si elle avait une vision.
— Peu d'entre nous savent réellement, dit-elle dans un
murmure, à quel point cela peut être horrible. Bien pire que ce que tu as connu
jusqu'à maintenant, Ratha.
Il la regarda fixement, tiré d'un chagrin qui le mettait en
rage en même temps qu'il lui faisait mal. Un sentiment étrange s'empara de lui,
comme si cette femme était un pont entre deux mondes. Comme si elle voyait dans
l'au-delà.
Elle le regarda enfin, avec tristesse.
— Tu peux faire la paix avec n'importe qui, mais seule une
réconciliation avec Tuzza changera les choses.
Il fut parcouru d'un frisson glacé. Des forces suprêmes
régissaient le monde et ces événements, forces auxquelles il n'avait plus pensé
depuis la mort de Giri. La justesse des propos de Dame Tess l'avait frappé tout
autant que sa peine. Mais son combat intérieur continuait. Ce ne fut qu'au bout
de quelques longues minutes qu'il put se résoudre à faire la promesse qu'elle
attendait.
— Bien que l'idée me répugne, je sais devoir le faire pour
le bien supérieur de tous. Donnez-moi un peu de temps, ma dame. Pour m'y
préparer. J'irai ensuite voir Tuzza et nous nous mettrons d'accord.
— Merci, Ratha, dit Tess en pressant ses mains. Ces temps
difficiles exigent tant de nous, mon ami. Je crains qu'à la fin, nos cœurs ne
soient plus que des coquilles vides.
Elle parlait comme si elle savait, comme si elle avait vu
cette fin.
Légèrement troublé et inquiet devant sa mine étrange, Ratha
lui prit les mains. Elle continua à se balancer comme si elle était en prise
avec une force qui la dépassait.
— Si cela arrivait, l'Ennemi gagnerait. Nous devons tenir
bon. Nous serrer les coudes. Même si cela veut dire que parfois, il faudra
oublier notre chagrin afin de faire ce qui est nécessaire, nous ne devons pas
sacrifier nos sentiments. Les armées se battront dans les semaines à venir mais
nos esprits lutteront eux aussi.
— Ces paroles sont sages, Ratha. Très sages. Nous ne
tiendrons que si nous restons unis.
Il soupira.
— Je vais trouver une solution, ma dame. L'enjeu est trop
grand pour laisser la haine nous commander. J'ai enterré Giri. A présent, nous
devons tous enterrer nos morts.
Tess sortit de la tente de Ratha. Ses jambes se dérobaient
sous elle. Elle avait eu une vision qui l'avait profondément bouleversée. Elle
ignorait si elle avait vu l'avenir ou le passé mais cette vision l'avait emplie
d'horreur.
Elle s'appuya contre un pieu de tente, tenta de s'éclaircir
les idées. Elle avait besoin de solitude afin d'absorber ce qu'elle venait de
voir mais cette solitude était dure à trouver. Ses sœurs étaient souvent avec
elle et depuis que les deux armées avaient juré de servir son étendard — de la
servir, elle —, où qu'elle se rendît, quelqu'un voulait lui parler.
Il était étrange de voir ces hommes blessés
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