L'ultime prophétie
dans leurs âmes
tenir à échanger quelques mots avec elle, souvent afin d'évoquer un disparu.
Elle le comprenait mais elle ne se sentait pas à la hauteur de cette tâche.
Elle était la Dame Filandière mais se sentait incapable de soigner les âmes
meurtries. Le seul don qu'elle possédait était de guérir la chair et de
provoquer une mort terrible.
Elle rassembla ses forces et se dirigea vers l'extérieur du
camp, songeant qu'elle dénicherait sans doute un endroit pour s'isoler entre
celui-ci et le cordon de sentinelles qui avait été mis en place afin de les
alerter d'une éventuelle attaque.
Elle avait tort. A peine avait-elle atteint les dernières
tentes qu'un groupe de Bozandari, qui avaient les premiers juré de la protéger,
l'entoura. Elle fut d'autant plus surprise qu'elle se trouvait du côté anari.
— Odetta, dit-elle à leur chef.
Il s'inclina très bas.
— Je voudrais être seule.
— Nous veillerons à ce que vous le soyez, ma dame. Nous
nous tiendrons assez loin pour que vous oubliiez que nous sommes là.
Il fit un geste de la main tout en parlant. Les hommes
disparurent dans l'obscurité.
— Vous n'aurez qu'à nous appeler, ma dame, ajouta Odetta.
Il la salua élégamment puis disparut à son tour. Tess sourit
malgré elle. Seule sans l'être vraiment. Elle ne pouvait espérer plus pour le
moment, alors qu'ils ne se trouvaient plus qu'à deux jours de marche de la
légion bozandari, une légion plus susceptible de les attaquer que d'engager des
pourparlers. Ses éclaireurs n'étaient sans doute plus très loin et
l'affrontement pouvait se produire à tout instant.
Elle trouva une pierre plate et assez haute pour faire
office de siège. Ses jambes, tremblantes, furent soulagées de ce repos bienvenu
; mais l'angoisse la gagnait à présent tout entière.
Elle n'avait pas l'habitude d'avoir des visions en dehors du
temple ; or celle-ci avait été exactement la même que celles qu'elle avait eues
dans le lieu sacré. Malgré le fait qu'elle tenait ses yeux grands ouverts,
malgré la douce lueur argentée des étoiles sur les rochers du désert, elle
continuait à voir ces images atroces.
Des armes volantes qui crachaient le feu, des corps
déchiquetés de telle façon qu'aucune épée n'aurait pu le faire, dans une
horreur indescriptible. Un grondement, la terre qui s'ouvrait autour d'elle,
des hommes, des femmes et des enfants réduits en lambeaux de chair qui étaient
projetés sur ses vêtements, son visage et son âme.
Passé ou avenir ?
La solitude n'était peut-être pas une bonne idée. Aucune
réponse ne lui vint, rien n'indiquait si la vision décrivait un passé oublié ou
un avenir terrifiant.
Elle se leva et reprit le chemin du camp. Quelques instants
plus tard, les soldats la rejoignirent. Cette fois, leur présence la
réconforta.
Passé ou avenir, quelle différence ? se dit-elle en
approchant des premières tentes. Cette vision faisait de toute façon partie
d'elle.
Bien qu'il détestât se trouver en présence de la femme
anéantie qu'il retenait prisonnière dans sa forteresse, Ardred devait parfois
utiliser directement ses pouvoirs. Il entra dans la petite cellule de l'Ilduin
et essaya de ne pas penser à l'odeur pestilentielle qui s'en dégageait. La
femme était presque un cadavre déjà mais elle semblait incapable de mourir,
même si elle devait le souhaiter par-dessus tout.
Quoique, songea-t-il amèrement, peut-être craignait-elle de
mourir. Les châtiments des dieux, il le savait, pouvaient être aussi diaboliques
que leurs jeux. La querelle entre Elanor et Sarduk se jouait ici, dans ce monde
et, en dépit de leur responsabilité, ils punissaient librement ceux qui leur
déplaisaient.
Si le châtiment d'Elanor à l'encontre d'Ardred et d'Annuvil
avait été impitoyable, Sarduk avait épargné à Ardred le plus dur. Et ce n'était
que justice, comme l'avait toujours cru ce dernier. Après tout, c'était la
création des Anari qui avait provoqué l'ire des dieux. La guerre qui avait
précédé, entre Annuvil et lui, n'avait été qu'une partie de ce grand jeu divin.
Mais la création d'une nouvelle race... C'était empiéter sur
les plates-bandes des dieux. Et Annuvil y avait pris part, pas lui.
Ardred pinça les lèvres en pensant à son frère aîné. Quelle
folie, quelle arrogance de croire qu'un être humain pût échapper aux ruses des
dieux ! La destruction du monde et l'errance éternelle d'Annuvil, telle une
brebis
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