L'ultime prophétie
repéré une patrouille à
l'ouest de son camp, dit Tess, répétant l'information que lui avait transmise
Cilla.
Tuzza sourit. Ils se trouvaient sous la tente d'Archer, une
carte sous les yeux, éclairés par la lueur blafarde d'une seule lanterne. Tuzza
posa un disque de bois sur la carte, marquant l'endroit indiqué par Tess.
— C'est la deuxième patrouille d'Alezzi. Sur trois.
— S'il y en a bien trois, dit Archer.
— Il y en aura trois, mon seigneur, dit Tuzza d'une voix
pleine de confiance. Alezzi ne prendra pas de repos cette nuit avant de savoir
ou, en tout cas, avant de croire qu'il sait quelle est la position précise de
nos troupes. En réalité, il n'aura pas de repos car une fois ces renseignements
en sa possession, il tiendra un conseil de guerre avec ses officiers. Ils
achèveront de préparer leurs plans de bataille, donneront leurs ordres et
prépareront un rapport à l'intention de l'empereur, qui sera transmis par un
cavalier dès l'aube. Ce n'est qu'alors et seulement alors qu'il se permettra
quelques heures de sommeil.
— D'abord le cheval, puis la selle et ensuite l'homme, dit
Tess, tout en se demandant d'où cette expression lui venait.
Encore un élément de son passé qui faisait intrusion dans
son esprit.
Tuzza la regarda, surpris.
— C'est un dicton de notre cavalerie, ma dame. Son sens
est limpide : il s'agit de la séquence des gestes de soins apportés aux montures
et aux cavaliers à la fin d'une journée de marche. Mais je vois bien comme
cette expression peut s'appliquer ici. Nos instructeurs à l'académie diraient «
le devoir avant le confort et le confort avant le sommeil ».
Tess sourit tristement.
— A bien des égards, les méthodes guerrières sont
universelles, officier supérieur. Ceux qui renoncent à leur devoir n'accomplissent
rien. Ceux qui se privent de confort, de repas chauds et de vêtements secs, par
exemple, tomberont rapidement malades. Et ceux qui sont privés de sommeil trop
longtemps ne résistent pas à l'heure de la bataille. Du reste, nous ne nous
sommes pas beaucoup reposés au cours de cette marche.
— Oui-da, ma dame, dit Tuzza. Mais je ne pourrais me
reposer si je continuais à me demander quels sont les plans d'Alezzi. La troisième
patrouille sera bientôt repérée et je pourrais prendre le repos mérité d'un
commandant qui a fait son devoir.
— Alors, utilisons notre temps sagement, dit Tess, et ne
nous contentons pas d'attendre ici. Que diras-tu à ton cousin demain ?
— Je lui parlerai de justice, dit Tuzza simplement.
Archer le regarda.
— Et pas de la Dame Filandière ?
Tuzza secoua la tête.
— Mon cousin est un officier brillant et... un homme très
pragmatique. Depuis toujours, il n'accorde aucune foi aux dieux et à ceux qui
prétendent les connaître. Mais c'est un homme juste.
— Parle-moi encore de lui, dit Tess.
Tuzza rit.
— Par où commencer ? Par le garçon qui sut compter bien
avant moi ? Ou devrais-je vous parler du jeune officier qui, en connaissance de
cause, mena ses hommes droit dans une embuscade dressée par des bandits dans le
désert de Deder, afin de les épuiser et de permettre à son régiment de
traverser un ravin et de former des rangs avant l'attaque finale ?
— Parle-moi des deux, dit Tess.
— Et j'en dirai peu, répondit Tuzza, car ni l'un ni
l'autre ne donne la pleine mesure de l'homme qu'il est. Il avait un don pour
les chiffres, un don qu'il travaillait, et quant à son aventure, c'était un
geste désespéré, ordonné par un officier supérieur qui avait manqué de
discipline et n'avait pas envoyé de patrouilles la veille de la bataille par
mépris pour ses ennemis. Nombre des hommes d'Alezzi ne virent jamais la
victoire et il jura ensuite de ne jamais répéter la même erreur.
— Les leçons naissent trop souvent du sang, dit Tess.
Tuzza opina.
— Et pire encore, trop rares sont ceux qui apprennent de
leurs erreurs, si bien que nous devons assimiler ces leçons, encore et encore,
au prix de plus de sang. Je crois que c'est peut-être de cette façon que je
puis vous parler de l'homme qu'est réellement mon cousin, l'officier supérieur
Alezzi. Dans sa vie, les mondanités de la cour n'ont aucune place. Depuis qu'il
s'est engagé dans l'armée, il a passé moins de temps à Bozandar qu'aucun de nos
officiers. Sa place est sur le champ de bataille, avec ses hommes, et jamais il
n'a joui d'un seul
Weitere Kostenlose Bücher