L'ultime prophétie
confort dont ne bénéficiaient pas ses hommes.
— C'est pour cette raison que tu lui parleras de justice,
conclut Tess.
— Je lui parlerai de vérité. Certains hommes estiment être
nés pour mener une vie luxueuse. Ils l'acquièrent au prix de la sueur et du
sang d'autrui. Mais aucun homme n'est né pour vivre ainsi. Cette cupidité vile,
cette volonté d'asservir les autres, sont l'œuvre de l'Ennemi. Certains y ont
résisté. Mon cousin est l'un d'eux. Son père possède des esclaves, en tout cas
il en possédait à mon départ de Bozandar, mais Alezzi n'a pas accepté de les
recevoir en cadeau le jour où il a rejoint l'armée. J'ajoute cependant qu'il
n'a fait ce choix que parce que ses hommes ne pouvaient avoir de serviteurs et
qu'il n'estimait pas avoir le droit de posséder plus que le soldat le plus
modeste sous ses ordres. La plupart des jeunes officiers pensent la même chose
mais le rang et les privilèges changent la plupart d'entre nous. Ils n'ont pas
changé Alezzi.
Archer prit une profonde inspiration.
— La question est de savoir s'il pensera que ces principes
doivent s'appliquer aussi dans les domaines de Bozandar. S'est-il jamais
exprimé contre l'asservissement des Anari ?
Tuzza secoua la tête.
— Jamais en ma présence. Mais je dois avouer qu'il fut un
temps où je possédais moi-même des esclaves, une faute qu'il n'a peut-être pas
voulu me rappeler. J'ai deux ans de plus que lui et j'ai toujours été son
supérieur à l'armée. En outre, ma famille est plus noble que la sienne. Ces
barrières sont difficiles à franchir à Bozandar, quels que soient les liens qui
unissent deux cousins. Et nous étions très proches.
— Je prie pour que ce lien soit toujours aussi fort, dit
Archer. Et pour que ton cousin soit vraiment un homme juste. Pareil homme ne
peut douter de la justesse de notre cause.
— Les éclaireurs de Jenah ont trouvé la troisième
patrouille, dit alors Tess. Mais ils ont été repérés. Et ils ont dû se battre.
Trois Anari et deux Bozandari sont morts et Sara soigne à présent les blessés.
— Le sang a coulé, dit Tuzza tristement en posant un
troisième disque sur la carte. Cela nous compliquera la tâche demain.
— Nous ne pouvions espérer une campagne sans effusion de
sang, dit Archer. Mais espérons qu'il n'y aura pas d'autres morts d'ici à ce
que nous atteignions les portes de Bozandar.
— Oui, dit Tess en retenant ses larmes.
Elle voyait dans son esprit Sara évoluer parmi les blessés
et tenta de l'aider— hélas, certains hommes ne pouvaient plus être sauvés, même
par les Ilduins.
— Oui, nous devons espérer.
18.
Mihabi marchait d'un pas rapide, suivi de près par Ezinha.
Avec leurs compagnons, ils avaient pris les quatre points d'exécution qui leur
avaient été assignés et se dirigeaient à présent vers le campement où les
condamnés anari étaient détenus. Mihabi était blessé à la main mais comparé au
coup qu'avait subi Ezinha, ce n'était qu'une égratignure. Mihabi avait entendu
un craquement sec lorsque la garde d'une épée avait heurté le flanc de son
frère. Que son ancien maître souffrît d'une côte brisée ne faisait aucun doute
; mais qu'il continuât à se battre emplissait Mihabi d'étonnement et d'admiration.
Ils ne pouvaient plus se prévaloir de l'effet de surprise de
leurs premières attaques. Tout Bozandar avait été réveillée par les bruits des
cymbales et des combats ; des lanternes brillaient à toutes les fenêtres et des
torches brûlaient dans chaque rue. Les légionnaires les attendraient ; de
simples citoyens avaient gonflé leurs rangs. Des vies seraient sacrifiées et
toutes ne seraient pas des vies bozandari. Bah ! les dés étaient jetés et
Mihabi ne craignait pas la mort en cette nuit décisive.
— Tu dois te reposer, mon frère, dit-il à Ezinha, dont la
respiration se faisait plus difficile à chaque pas.
— Non. Je me reposerai quand nous serons tous libres.
— Tu étais déjà libre au début de la révolte.
— Comment un homme qui traite ses semblables comme du bétail
peut-il être libre ? Il est lui-même sous le joug d'un maître puissant et
maléfique, qu'il s'en rende compte ou non. Je ne serai libre que lorsque nous
le serons tous, Mihabi.
Son frère souffrait, Mihabi le perçut. Chaque mot devait
provoquer une douleur lancinante dans son flanc.
— Ne dis plus rien, mon frère. Economise tes
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