L'ultime prophétie
pas toujours
opposé. Je l'ai simplement refusé pour moi, laissant les autres faire leurs
propres choix.
Ce raisonnement, songea Tess, était séduisant, mais ne
justifiait pas totalement le silence d'Alezzi. Il devait être cependant fort
répandu parmi les citoyens de Bozandar.
— Ces choix étaient refusés aux Anari, toutefois, dit-elle
un peu durement.
Il croisa son regard.
— Vous dites vrai, Dame Tess.
Dire la vérité au pouvoir en place . Cette phrase lui
vint soudain à l'esprit et elle attendit un instant, se demandant si ces mots
trouveraient leur place dans un souvenir encore enfoui dans sa mémoire. Mais
aucun ne lui vint. Cela dit, le sens de ces paroles était évident et elle
décida de poursuivre.
— Si Bozandar a tant apporté aux habitants de ces
contrées, n'oublie pas néanmoins que ces dons ont été imposés sous la menace
d'une épée.
Alezzi ferma les yeux à ces mots et prit une longue et
profonde inspiration avant de répondre.
— Si ce que vous dites est vrai, cela ne l'est qu'en
partie, ma dame. Oui, nous avons conquis des terres. Mais dans la plupart des contrées
que nous avons conquises, notre présence a amené la paix, et pour la première
fois. Le malheur l'emportait sur le bonheur et les clans combattaient les
clans, massacrant les gens dans leur lit ou dans les rues. Et n'oubliez pas que
la plupart des peuples les plus respectueux des lois se sont ralliés
volontairement à Bozandar, ont payé leurs taxes et ont prêté allégeance à
l'empereur en échange de la sécurité et de la prospérité que nous pouvions leur
apporter.
— Je ne peux pas avoir oublié ce que je n'ai jamais su,
rétorqua Tess en se demandant si cette explication était juste, à quel point
Alezzi la croyait et dans quelle mesure elle n'était qu'une excuse facile. Et
la manière dont vous avez traité les Anari me rend... sceptique. Peut-être
votre histoire si glorieuse a été pour une grande part débarrassée des éléments
les plus gênants.
— Peut-être, mais je n'en suis pas responsable. Je vous
dis ce qu'on m'a enseigné. Jusqu'à ces derniers jours, je n'avais jamais songé
à remettre ces enseignements en cause. Je me concentrais sur mes hommes et mon
devoir.
— Je le conçois très bien, Alezzi.
Il rit brièvement, silencieusement, si bien que son rire
ressembla à un soupir.
— Qu'y a-t-il ? s'enquit Tess.
— Personne ne m'appelle par mon nom, sauf ma femme et Tuzza,
ma dame. Et je les ai vus tellement peu ces derniers mois. Entendre mon propre
nom est devenu étrange.
— Je commence à connaître ce sentiment, dit Tess en
souriant. Je suis trop souvent maintenant « ma dame » ou au mieux « Dame Tess
». Quoi que les autres pensent de moi, je ne m'y suis pas encore entièrement
habituée.
— J'aurais l'impression de vous manquer de respect si je
vous appelais autrement, Dame Tess, dit-il en souriant. Ne vous y trompez pas,
je vous en prie. C'est un honneur.
Tess soupira.
— J'ai parfois le sentiment que les honneurs que je reçois
sont excessifs. Je n'ai pas demandé à avoir ces dons. Je n'ai pas demandé à ce
que mon sang brûle les autres et provoque une mort affreuse. Je déteste cette
idée.
— Il ne peut en être autrement. C'est un terrible fardeau.
Mais vous êtes également en mesure de guérir. Les Loups des Neiges me l'ont
raconté ; ils m'ont parlé d'horribles blessures que vous avez fait disparaître
et des hommes que vous avez sauvés d'une mort certaine.
— Nombre d'entre eux mourront dans les batailles à venir.
Est-ce un don que de ressusciter un homme pour lui faire connaître de nouveau
la douleur et la terreur ?
Alezzi se frotta le menton en fixant les rochers pendant un
long moment.
— Et pourtant, vous continuez, ma dame.
— Ai-je d'autre choix ?
— Nous avons toujours le choix, dit fermement Alezzi. Ceux
qui croient qu'ils n'ont pas le choix paniquent et ne font rien, ou pire
encore. Vous n'avez peut-être pas voulu vous trouver sur cette voie mais à
présent, vous la choisissez, jour après jour, en posant un pied devant l'autre.
— Si je voyais une possibilité de m'y soustraire, je la
saisirais, j'en ai peur. J'aimerais partir en laissant tout ceci derrière moi,
retrouver la vie qui était la mienne auparavant, quelle qu'elle soit. Je
n'aurais ainsi plus jamais à brûler un homme de mon sang ou à soigner les
blessures atroces d'une guerre livrée
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