L'ultime prophétie
différente que
ce que la mère de Sara avait été : l'épouse de quelqu'un, la mère de quelqu'un,
une femme asservie à un Ennemi diabolique qui ne considérait les Ilduins que
comme des armes pour ses terribles desseins.
L'Ennemi verrait une Ilduin. Sara verrait, elle, une sœur en
captivité dont la liberté pourrait ne se trouver que dans la mort.
— Tu es troublée, mon amour, dit Tom.
Sara tenta d'écarter ses idées noires.
— Je ne t'abandonnerai pas, prophète Tom Downey.
— Je le sais. Mais ta main n'en tremble pas moins dans la
mienne. Tu es plongée dans tes souvenirs, Sara.
— Oui.
— Arrête, répondit-il en lui serrant doucement la main. Il
n'y a pas plus sûr moyen d'échouer que de revivre un combat passé. Notre ennemi
présent pourrait être très différent. Tes sœurs ont raison. Ouvre-toi et
apprends.
Tu peux entendre ce qu'elles disent, toi aussi ? songea Sara.
Uniquement quand tu les entends , repartit Tom, et
seulement si nous nous touchons . Je peux alors percevoir ce que tu ressens .
Le lait des Ilduins , pensa soudain Sara.
Tom la regarda, surpris.
— Quand tu étais très malade, murmura-t-elle, je t'ai
donné le sein, mon amour. Eisha, la femme anari qui était avec nous, a dit que
Dame Tess t'avait sauvé la vie mais que mon lait t'avait redonné la santé.
Tom lui fit un clin d'oeil espiègle.
— J'aimerais bien m'en souvenir. Car je sais qu'aucun lait
n'est plus jamais sorti de toi depuis.
— Tu devrais avoir honte, Tom Downey ! s'exclama-t-elle
sur un ton joueur. Comment oses-tu penser à cela alors que nous parlons d'une
bénédiction divine !
Il l'embrassa.
— Ah, mon amour, je ne fais que cela chaque fois que nous
sommes ensemble.
Ce n'était pas Tom le prophète qui lui remontait ainsi le
moral. C'était Tom, son époux, le jeune garçon qui n'osait pas lui parler
autrefois. Sa langue s'était déliée, peut-être un peu trop, mais au moins
l'avait-elle arrachée à sombres pensées.
— Je t'aime tant, Tom, dit-elle en soupirant.
— Je t'aime moi aussi.
— Et le véritable amour est bien beau en effet, intervint
Erkiah, mais avant que vous ne vous laissiez aller à la poésie, les
tourtereaux, rappelons-nous ce que nous sommes venus faire ici.
— N'avons-nous pas un petit peu de temps ? fit Tom, sur un
ton si équivoque que même Sara fut incapable de dire s'il était sérieux ou non
avant de voir son petit sourire en coin.
— Non, mon garçon, dit Erkiah en haussant les sourcils
d'un air faussement sévère. Même pas un petit peu.
— Ah, retrouver les amours de notre jeunesse, dit Alezzi à
Erkiah. Ne serait-ce pas délicieux ?
— Mes jambes peuvent me faire traverser la ville, dit
Erkiah en riant. Je ne suis pas certain qu'elles soient à la hauteur pour cela.
— Les miennes non plus, dit Alezzi. Les miennes non plus.
Il est sans doute préférable que ces choses soient réservées aux jeunes gens,
car nous autres n'aurions pas la force nécessaire.
— Suffit, dit Sara avec un sourire doux. Les garçons, vous
vous abandonnerez à tous les fantasmes que vous voudrez plus tard ; pour
l'heure, nous devons rester concentrés.
— Oui, ma dame, dit Alezzi avec un petit salut moqueur.
Puis il reprit son sérieux et ajouta : vous avez raison. Mais il est bon de
saisir toutes les occasions de rire ces jours-ci. Ce qui nous attend risque
d'être beaucoup moins drôle.
Tom se tourna vers Alezzi.
— Qui parle comme un prophète maintenant ?
— Pas un prophète, répondit Alezzi, le visage grave. Je ne
parle que comme un homme qui a passé la majeure partie de sa vie à profiter de
toutes joies qu'il pouvait entrevoir à travers ses larmes.
— Je ne voulais pas te blesser.
— Et je ne le suis pas, mon ami. Seulement, j'ai passé ma
vie à éviter cette ville et aujourd'hui, je me trouve en son cœur. C'est cela
et non pas toi qui assombrit mon humeur.
— Mais pourquoi ? demanda Tom en furetant autour de lui.
Cette ville est... majestueuse. Même en hiver, ces étendues de gazon au milieu
des avenues sont verdoyantes.
— Elles le sont grâce à l'influence de la mer sur le
climat. Et en dépit de leur beauté, en dépit du grand nombre de mères et
d'enfants qui jouent dans ces parcs, leur véritable objet est la guerre, mon
ami. Les principaux boulevards de cette ville sont si larges que nos légions et
leurs chevaux peuvent s'y
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