L'ultime prophétie

mettre en formation et s'y déplacer rapidement si
nous étions attaqués. Si tu oublies la verdure des parcs, tu verras autre
chose.
    Comme guidée par ces paroles, Sara remarqua soudain des
taches séchées de couleur brune.
    —   Du sang, murmura-t-elle. Mais ce n'est pas le sang que vous
craignez, commandant.
    Alezzi secoua la tête.
    —   Non, Dame Sara. J'ai vu beaucoup de sang, bien plus que
la plupart des hommes. J'ai été blessé moi-même et j'ai malheureusement répandu
celui d'autrui. Mais je préférerais une blessure béante sur un champ de
bataille que celles auxquelles nous faisons face aujourd'hui. Le sang qui
souille le palais n'est que trop souvent un sang dont on ne peut se laver les
mains. C'est le sang qui naît des blessures de l'âme elle-même.
    —   C'est pour cette raison que tu as évité Bozandar, dit
Erkiah.
    —   Oui. Le palais est plein d'hommes qui vendraient leur
mère pour un siège plus près du trône de l'empereur. Ou mieux encore à leurs
yeux, qui vendraient la mère de l'homme dont ils convoitent le siège. Ils
parlent d'un honneur qu'ils ne pratiquent pas et font des promesses qu'ils ne
tiendraient pas, même s'ils n'avaient pas besoin de les rompre. Ils dressent la
liste des vices d'autrui et font courir des bruits sur les échecs des uns et
des autres, en passant toujours sous silence, bien sûr, leur rôle dans la
promotion de ces vices ou dans ces échecs.
    —   Vous les méprisez, dit Sara en étudiant son expression.
    —   Oui, dit Alezzi.
    La douleur se lisait dans ses yeux.
    —   Vous croyez que vous seriez capable de les battre à
leurs propres jeux, poursuivit-elle. Vous pensez que vous seriez à la fois le
meilleur et le pire d'entre eux.
    Il secoua la tête.
    —   Non, ma dame. Je ne le pense pas, je le sais. J'ai à la
fois le talent et le goût de ces intrigues. C'est l'envie qui me manque.
    —   Et c'est là que réside votre noblesse, commandant,
dit-elle en se souvenant des épreuves que ses compagnons et elle avaient traversées
au cours des derniers mois. Ce n'est pas ce que nous pourrions faire qui nous
condamne, ni même ce que nous voudrions faire. Ce sont nos actes ou ceux dont
nous nous abstenons que les dieux jugent. Si je n'ai appris qu'une seule chose
dans cette guerre, c'est bien celle-là.
    —   Tu as appris une vérité, dit Erkiah en hochant la tête.
Et leur jugement sera sévère si nous échouons dans la tâche qui nous incombe à
présent.
    —   Je prie pour que le prix de la victoire ne soit pas trop
élevé, dit Alezzi. J'ai trop de souvenirs que je voudrais oublier. Je n'en veux
pas davantage.
    Et enfin, comme par magie, ils se retrouvèrent devant les
portes extérieures du palais — une immense structure métallique qui semblait
aussi infranchissable qu'elle était esthétique. Deux gardes vêtus de pourpre et
de cuivre se tenaient devant les grilles. Ils se raidirent à leur approche.
    —   Qui va là ? demanda l'un d'eux sur un ton péremptoire.
    —   Alezzi Forzzia, cousin de l'empereur et membre de sa
cour, commandant de la légion du Lion Noir.
    —   Déclinez vos intentions, commandant.
    —   Je viens avec deux prophètes et une Ilduin qui
souhaitent informer mon cousin l'empereur de leurs prédictions et avertissements
afin qu'il puisse continuer de protéger son empire contre toutes les menaces.
    L'un des gardes s'inclina et appela quelqu'un à l'intérieur.
Un autre garde approcha et écouta le message. Il fit aussitôt demi-tour et entra
dans le palais.
    —   C'était facile, fit remarquer Tom à voix basse.
    Alezzi secoua la tête, dubitatif.
    —   Crois-moi, le message sera relayé par de nombreuses
personnes avant de parvenir aux oreilles de mon cousin. Nous aurons du mal à
obtenir une audience.
    —   Mais il est ton cousin.
    —   Il a de nombreux cousins, Tom. Et beaucoup sont déjà à
l'intérieur du palais.
    Sara saisit soudain le bras de Tom.
    —   Des esprits sous le contrôle d'un grand ordonnateur,
murmura-t-elle, le visage pâle. Ils ne sont pas très loin.
    Tom opina et regarda Alezzi et Erkiah.
    —   Nous pourrions affronter un grand danger.
    Avant que les deux hommes pussent réagir, Sara vacilla,
étourdie.
    —   A l'intérieur. Ils sont déjà à l'intérieur.
    La main d'Alezzi se porta sur la garde de son épée.
    —   Cela pourrait s'avérer encore plus difficile que je ne
le pensais.
     
    Mihabi était assis auprès de sa mère, au