L'ultime prophétie
Bien que la ville soit loin d'être la cité vivante et éclatante qu'était
Anahar, Tom sentit néanmoins son cœur battre plus vite à la vue d'un endroit
qu'il avait désiré voir depuis son enfance à Whitewater. Les histoires que
racontaient les marchands n'étaient pas fausses. Bozandar était une véritable
merveille.
Les soldats bozandari s'agitèrent dès qu'ils posèrent les
yeux sur leur capitale. Les histoires de massacres qui avaient eu lieu entre
ses murs étaient fraîches dans leur esprit et les officiers durent ramener
l'ordre dans les rangs. La peur des représailles, les doutes vis-à-vis de leur
nouvelle allégeance et la colère à l'idée que des membres de leur famille
eussent pu être tués dans la révolte des Anari — autant de sentiments qui
formaient un cocktail qui pouvait exploser à tout moment et diviser l'armée.
Archer se tourna vers Tuzza et Alezzi.
— Nous sommes sur une pente dangereuse. Ce n'est pas une
bonne idée de nous rapprocher davantage de la ville avec l'armée.
— Je suis d'accord, répondit aussitôt Tuzza. Et je crains
que rien de ce que nous pourrons dire ne nous fera entendre favorablement à
Bozandar.
— J'irai, dit Tom.
Sa voix parut les surprendre. En effet, pendant presque
toute la marche, il était resté en retrait, avec Sara ou Erkiah — mais il était
à présent au milieu des commandants, à cheval sur une jument robuste, les yeux
toujours protégés par son masque de cuir.
— Pourquoi toi ? demanda Archer.
— J'ai toujours voulu voir Bozandar. Mais plus encore, je
suis politiquement neutre. Whitewater n'est ni un allié ni un ennemi de
Bozandar. Nos marchands et nos citoyens y ont toujours été les bienvenus.
— Tu n'iras pas seul, dit Sara en chevauchant vers eux
avec Erkiah. Si Whitewater est neutre, alors je devrais y aller aussi. Et Erkiah.
Il sera notre guide.
— Il vous faut une escorte, dit Tuzza.
— Oui, approuva Alezzi. Je crains que le peuple de
Bozandar ne se méfie de tout étranger en ce moment. Il est préférable de vous
donner une protection.
— Non, dit Tom. Si nous arrivions avec des soldats
bozandari, nous aurions l'air soit de prisonniers, soit d'envahisseurs. Ce doit
être une mission de paix, Maître Archer. Laissez-moi y aller dans ce but.
Erkiah sourit à Tom.
— Nous ne parviendrons jamais à approcher l'empereur en
tant que simples visiteurs, mon fils. Tu as raison de dire que nous ne pouvons
arriver en compagnie d'hommes armés. Et oui, je puis être notre guide. Mais il
nous faut aussi une escorte. L'officier Alezzi devrait nous accompagner.
— Nous irons ensemble, dit Tuzza.
— Non, répliqua Ratha, les yeux brillants de colère. Cela
laisserait nos Bozandari sans chefs. Si nous sommes forcés de nous battre, ils
seront perdus.
Tom posa la main sur l'épaule de Ratha.
— Mon ami, si nous sommes forcés de nous battre, alors
tout est perdu de toute façon. Nous n'avons pas les effectifs nécessaires pour
assiéger la ville et encore moins pour la prendre. Cette fois, les hommes
plutôt que les épées doivent parler.
— Il dit vrai, dit Jenah à Ratha.
— Peut-être, fit Ratha. Il s'adressa ensuite à Tuzza. Mais
j'ai toujours peur pour la paix à l'intérieur de notre camp si ton cousin et
toi n'êtes plus là. Les tensions sont déjà fortes, d'autant plus que les
soldats bozandari voient désormais leur patrie et se demandent s'ils ont bien
fait. Je ne dis pas cela pour t'insulter, toi ou les tiens, mon frère.
Quiconque réagirait comme ils font maintenant.
— Oui-da, mon frère, dit Tuzza. Mais mes hommes sont
loyaux envers la Dame Filandière.
— Tes hommes sont loyaux envers toi, dit gravement Ratha.
Et à juste titre, car tu leur as fait traverser bien des épreuves et finalement
rendu la fierté qu'ils avaient perdue dans la défaite. Ne te sous-estime pas,
mon frère. Rare est le général qui inspire un tel dévouement à ses hommes.
— Tom a raison, dit Alezzi. Mon cousin, nous ne pouvons
partir tous les deux. Mais l'un de nous doit accompagner Tom afin de lui
obtenir une audience avec l'empereur.
— Mes hommes ont passé plus de temps avec les Anari,
répondit Tuzza. Ils marchent sous l'étendard du Loup des Neiges. Ils sont moins
susceptibles de provoquer des remous en mon absence. Je pense donc que je
devrais accompagner Tom.
— Non, dit Erkiah. Ce doit être Alezzi. Tuzza,
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