Ma mère la terre - Mon père le ciel
sourit.
— Non, c'est de toi qu'elle a besoin.
On aurait dit qu'ils attendaient depuis des jours, évitant toute conversation pour écouter l'approche des Petits Hommes. Mais ils n'entendaient rien et ils continuèrent à attendre. Kayugh se tenait sur le tronc d'arbre entaillé, surveillant ce qui se passait dehors à travers le trou du toit. Il avait décidé de ne pas porter son parka de crainte d'être gêné dans ses mouvements pendant le combat et il avait graissé sa poitrine et ses épaules pour se préserver du froid et rendre sa peau moins vulnérable lors d'une attaque.
Le vent était frais et Kayugh savait que la nuit apporterait bientôt les premières gelées qui frangeraient et fonceraient les buissons de roseaux poussant sur les collines.
Shuganan murmurait des prières. Il s'adressait à ses ancêtres, ceux qui étaient à l'origine des Petits Hommes, mais qui auraient trouvé déshonorant de tuer d'autres hommes. Il s'adressait à Tugix et aux esprits de la mer et du ciel.
Il leur demanda s'ils allaient laisser ces mauvais hommes massacrer tout le monde, s'ils ne s'arrêteraient jamais de tuer et, en adressant sa supplique, Shuganan sentit monter sa colère. Pourquoi ces tueries continuaient-elles depuis si longtemps? Les esprits n'avaient-ils aucun contrôle sur le choix fait par les hommes ?
Shuganan se tenait les yeux fermés, une amulette dans chaque main, quand Kayugh se laissa glisser doucement sur le sol.
— Ils s'approchent des ulas, souffla-t-il, dans le brouillard on dirait des fantômes.
— Ce ne sont pas des fantômes, répondit Shuganan. Ce sont des hommes ne possédant aucun pouvoir particulier, aucun don, ils n'ont que leur audace. Nous allons les maîtriser.
Kayugh redressa les épaules et leva la tête. Ses doigts saisirent la figurine en ivoire suspendue autour de son cou. Shuganan avait gravé une baleine pour chaque homme des ulas. Il avait fait ce travail rapidement, sans s'attarder aux détails, mais Kayugh portait celle que le vieil homme lui avait donnée avant de venir dans cette île et le dessin en était très délicat.
Ils attendirent. Kayugh en haut du tronc d'arbre, Nombreuses Baleines à ses côtés. Shuganan s'efforçait de distinguer des bruits ne venant pas du vent ou de la mer. Il n'entendit rien.
Rien. Mais soudain une torche fut jetée à travers le trou du toit. Elle était en flammes. Elle brûla sans causer de dommage sur le sol nu.
Kayugh se baissa afin de l'éteindre et l'empêcher de fumer, mais Shuganan lui saisit le bras.
— Non, dit-il. Laissons-les croire que les tapis ont pris feu et que nous ne savons pas qui a jeté cette torche.
Il tira un des rideaux du mur et le jeta au milieu de la pièce. Puis, se servant de la torche, il alluma plusieurs lampes au milieu de l'ulaq.
— Si cela fume trop, nous l'éteindrons, dit-il, mais d'abord nous devons crier. Il sourit à Nombreuses Baleines : feignons d'être des femmes.
Il haussa la voix dans un cri aigu aussitôt imité par Nombreuses Baleines et Kayugh. Entre les cris il fut certain d'entendre un rire venir du toit de l'ulaq.
Kayugh regarda par-dessus son épaule en direction de Nombreuses Baleines et, quand celui-ci acquiesça, les deux hommes grimpèrent ensemble. Ils sortirent en se tournant le dos, leurs lances tendues au-dessus d'eux.
Alors qu'il était à moitié sorti, Kayugh vit deux hommes qui les attendaient, chacun d'un côté du toit. Ils tenaient une courte lance beaucoup plus maniable que les longues lances portées par Kayugh et Nombreuses Baleines. L'homme faisant face à ce dernier tenait son arme d'une main et une torche de l'autre. Du coin de l'œil, Kayugh vit l'homme feinter avec la torche avant de la jeter sur le toit de l'ulaq. Mais grâce à l'humidité répandue, elle pétilla et fuma mais ne s'enflamma pas.
Kayugh menaça l'autre homme de sa lance, le faisant reculer jusqu'à l'extrémité du toit où il allait devenir périlleux pour lui de se tenir. La longueur de l'arme la rendait plus difficile à contrôler, mais Kayugh se rendit compte que c'était précisément cette longueur qui empêchait le Petit Homme de s'approcher et d'user de sa propre lance.
L'homme leva son arme pour s'en servir comme d'un bâton, mais il découvrit ainsi une large partie de sa poitrine et Kayugh se précipita en avant, pointant sa lance en direction du ventre de l'homme qui esquiva en faisant un pas de côté et Kayugh perdit l'équilibre. Il se retrouva devant la
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