Ma mère la terre - Mon père le ciel
direction. Le dos du guerrier n'était plus qu'à quelques pas de l'endroit où Kayugh se trouvait.
Il attendit que l'homme soit assez près puis il brandit sa lance à deux mains et recula. Nombreuses Baleines fit quelques pas en arrière. L'homme s'arrêta et regarda. Alors Kayugh frappa de toutes ses forces, plantant l'arme sous la cage thoracique de son adversaire, le transperçant de part en part.
L'homme se retourna, bouche ouverte, et regarda Kayugh, puis il tomba sur ses genoux et s'écroula.
Kayugh retira lentement sa lance en prenant soin de ne pas laisser le sang faire glisser ses doigts sur la pointe acérée.
Mais il y eut une brusque rafale de vent, et l'on distingua le fracas des lances qui s'entrechoquaient. Un homme tomba contre Kayugh et l'entraîna dans sa chute. Couché sur le ventre, il essaya de se dégager mais sentit une lame glisser sur le dos de sa main. Une blessure peu profonde mais douloureuse.
Il se retourna sur le dos. Nombreuses Baleines marcha sur l'homme mais celui-ci chancela soudain et s'écroula, une lance plantée dans le dos.
Nombreuses Baleines s'avança et, mettant son pied contre le dos de l'homme mort, il retira la lance qu'il étudia. Puis il se mit à rire et cria :
— Où es-tu, brigand !
— Je suis là, dit une voix du toit de l'ulaq.
Kayugh leva les yeux et vit un homme debout
au bord du toit.
— Roc Dur, cria Nombreuses Baleines, viens chercher ton arme ou bien dois-je te la lancer? Il rit encore et se tourna vers Kayugh en disant gaiement : ils nous ont entendus en haut des collines. Ils arrivent!
Dans l'ulaq Shuganan était étendu, les yeux fermés, la main pressée contre la blessure à son côté. Il sentait peu de douleur, seulement une
profonde fatigue, une lourdeur qui semblait le maintenir allongé de sorte que le plus faible mouvement devenait pénible.
De nouveau il entendit quelqu'un se pencher sur l'ouverture du toit. Il se redressa et le mouvement amena un nouvel afflux de sang à sa blessure. Puis il y eut des pas qui descendaient. La plante des pieds n'était pas peinte. Un Chasseur de Baleines, peut-être?
Shuganan pressa ses mains contre son côté pour arrêter le sang. En relevant les yeux, il vit Oiseau Gris debout devant lui.
— Le combat est-il terminé ? demanda Shuganan d'une voix sifflante.
— Non, dit Oiseau Gris. Ils se battent encore. Certains ont été tués.
— Kayugh?
— Je l'ignore.
— Pourquoi es-tu là?
— Je suis blessé.
Oiseau Gris boita en avançant vers Shuganan et montra une éraflure sur son mollet.
Pendant un moment Shuganan referma les yeux et lutta contre la douleur de son propre flanc, puis il secoua la tête et dit :
— Cette blessure... ce n'est rien du tout, retourne te battre !
Les yeux d'Oiseau Gris brillèrent et il s'agenouilla près de Shuganan.
— Tu es resté à l'intérieur de l'ulaq, s ecria-t-il avec colère. Qui es-tu pour me donner l'ordre d'aller me battre ?
Puis, comme s'il s'avisait de leur présence pour la première fois, Oiseau Gris regarda les deux Petits Hommes étendus sur le sol de l'ulaq :
— Ces deux-là, demanda-t-il, qui les a tués?
Shuganan ferma les yeux et tourna la tête. A
quoi bon répondre? Quel besoin avait-il de se
vanter devant Oiseau Gris? Que l'homme croie ce qu'il voulait.
Mais Oiseau Gris se pencha sur lui, et l'installa contre une fourrure, en pressant un chiffon mouillé contre sa blessure.
Shuganan laissa son corps se reposer contre la douceur des fourrures.
— Tu vas mourir, dit Oiseau Gris. Je vais rester auprès de toi.
— Va-t'en... aider les autres, supplia Shuganan. Laisse-moi seul.
Oiseau Gris se mit à rire.
— Tu vas mourir, répéta-t-il. Oui, et quand tu seras mort, c'est moi qui recevrai les honneurs. N'ai-je pas tué deux ennemis pour essayer de te sauver? Chagak se tournera vers moi avec gratitude et acceptera de devenir ma femme et tu ne seras plus là pour l'en empêcher.
Shuganan le regarda et vit les petits yeux durs et méchants. Il essaya de parler, mais les mots ne venaient pas. Il referma les yeux et, quand il les ouvrit à nouveau, il vit le visage d'Oiseau Gris et un autre visage, comme la brume qui arrive avant la pluie, le visage d'un esprit penché près d'Oiseau Gris.
Le visage de l'esprit changea, se brouilla comme de la fumée et dessina la forme des yeux, d'un nez, d'une bouche. C'était l'esprit d'Homme-Qui-Tue.
« Je ne suis pas assez fort, pensa Shuganan. Maintenant il est
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