Ma mère la terre - Mon père le ciel
sable sur les blessures de Shuganan. « Il faut que je le transporte dans l'ulaq », pensa-t-elle en jetant un coup d'œil à Homme-Qui-Tue qui se contenta de cracher par terre.
Chagak noua les deux coins de la robe pour en faire une sorte de poignée et se mit à tirer Shuganan en direction de la colline conduisant à l'ulaq. Il n'était pas lourd mais la pente de la dune rendait la tâche difficile et du schiste s'accrochait à la robe comme des serres pour empêcher Shuganan de quitter le rivage.
Soudain Homme-Qui-Tue se dressa devant elle, bloquant son passage. Elle s'efforça de le contourner, mais il se mit à crier en montrant les phoques.
— Je ne suis pas ta femme, cria Chagak, je n'ai pas à t'obéir.
Tout en sachant qu'il ne la comprenait pas, elle pensait qu'il était bon que les esprits l'entendent et décident qui avait raison.
Elle attendit un moment, persuadée qu'il la laisserait passer, qu'il comprendrait que Shuganan devait être soigné avant de s'inquiéter des phoques, mais il ne céda pas. Et sa colère se changea en frayeur. Shuganan était un vieil homme. Si Homme-Qui-Tue ne la laissait pas l'aider, il pouvait mourir.
Elle lui tourna le dos et reprit la robe, mais il lui saisit les poignets d'une main ferme. Elle le regarda, les dents serrées.
— Pas de couteau, dit-elle, et, voyant qu'il ne comprenait pas, elle répéta plus fort : je n'ai pas de couteau, comment pourrais-je les dépecer sans un couteau?
Elle fit le geste de couper en montrant les phoques et Homme-Qui-Tue acquiesça. Utilisant son couteau de chasse, il ouvrit les paquets dans l'ik de Chagak. Il jeta les fourrures, la nourriture et même la pierre à cuire de sa mère, répandant tout à proximité des vagues.
— Il n'y a pas de couteau, cria Chagak avec une colère qui lui fit monter les larmes aux yeux.
Finalement, il revint vers elle en tenant un couteau à lame recourbée, une petite lame fine faite pour des travaux délicats mais qui ne pourrait être utilisée pour couper la peau épaisse des phoques. Il le lança néanmoins à ses pieds et la mit brutalement debout.
Avant que Chagak ait pu l'arrêter, il lui arracha son suk et passa les mains sur son tablier, puis il retourna le suk et regarda à l'intérieur des manches.
— Je t'ai dit que je n'avais pas de couteau, répéta Chagak en sentant sa respiration devenir plus difficile.
Le couteau caché dans la doublure de son suk semblait tout à coup devenir si lourd. Il allait sûrement remarquer la bosse de l'ourlet ou peut-être même lire dans ses pensées.
Il la fixa pendant un long moment. Chagak rencontra son regard et ne se détourna pas. Il murmura enfin quelque chose et se tourna vers l'ulaq.
— Oui, tu vas trouver des couteaux là-bas, lui lança Chagak.
Puis elle se pencha sur Shuganan. Il semblait respirer plus facilement. Elle saisit la robe et la tira doucement à travers la plage, hors d'atteinte des vagues, contre la falaise, où il serait protégé du vent pendant qu'elle dépouillerait les phoques.
19
Au village de Chagak on affectait plusieurs femmes au dépouillement et au dépeçage d'un phoque. Deux ou peut-être trois détachaient la peau du corps, d'autres encore coupaient la viande. Puis le chasseur partageait la graisse, la viande et les os entre les familles. A la sienne revenaient la peau, les pattes et les meilleurs morceaux de viande.
Mais ici, Chagak était seule. Chacun des animaux était plus lourd qu'un gros homme et elle avait de la difficulté à les remuer.
Homme-Qui-Tue lui avait ramené de l'ulaq un couteau de femme et un autre couteau courbé ainsi que plusieurs peaux tannées. Chagak les étendit et, quand elle eut terminé le dépeçage du premier phoque, elle commença le découpage des épaisses couches de graisse et les empila sur une des peaux, puis elle détacha la viande des os et retira les organes comestibles.
Avec soin elle découpa les épais tendons le long de l'épine dorsale et les mit de côté pour les faire sécher. Plus tard, elle tresserait des fibres de diverses grosseurs afin de les utiliser pour coudre. Elle noua le petit intestin à chaque extrémité avant de le détacher. Lorsqu'elle eut terminé elle vida le contenu des intestins dans la mer, les rinça et les mit de côté. Elle réunit ensuite toutes les différentes parties dans un vieux chigadax.
Enfin elle lava et rinça l'estomac qui pourrait être utilisé comme contenant pour du poisson séché ou de
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