Ma mère la terre - Mon père le ciel
trouver un peu d'humidité, mais l'herbe salée ne fit qu'accroître sa soif.
Elle resta longtemps sur la falaise jusqu'à ce que le soleil commence à se glisser vers le nord-ouest. Finalement elle se leva pour se diriger vers le village.
En marchant, elle se prit à espérer que tout ce qu'elle avait vu était un mauvais rêve et qu'elle retrouverait le village inchangé avec ses toits d'herbe verte, les femmes occupées à tisser, les hommes regardant la mer et les enfants courant et riant dans leurs jeux habituels.
Mais l'odeur de fumée était partout, apportée par le vent, aussi quand Chagak atteignit le haut de la colline et vit les ruines calcinées, elle ne ressentit aucune surprise, mais seulement la lourde conscience de son impuissance.
Lorsqu'elle retrouva son panier de baies, elle en saisit une poignée qu'elle porta à sa bouche, et après en avoir exprimé tout le jus, elle avala la pulpe. Pendant un moment elle resta à l'écoute du moindre mouvement, mais seul un vent léger remuait des petits morceaux de rideaux brûlés, de mâts calcinés et de l'herbe noircie.
Chagak commença à se demander si elle était seule, si, de tout son peuple, elle demeurait l'unique survivante. Cette pensée la fit frissonner et soudain elle se mit à pleurer, bien qu'elle eût l'impression d'avoir versé toutes les larmes de son corps la nuit précédente. Tout en continuant à verser des larmes amères, elle se mit à descendre vers le village, tenant son couteau d'une main et son amulette de l'autre.
Le premier corps que Chagak découvrit fut celui du shaman, le prêtre du village, ce n'était pas un bon signe, pensa-t-elle. Il avait été tué au moyen d'une lance ou d'un couteau, et portait une profonde entaille au milieu de la poitrine, mais le feu l'avait épargné. Les flammes avaient laissé un cercle d'herbe intacte autour de lui.
Les agresseurs n'avaient pas découpé le corps. Chagak en fut surprise et soulagée. Quand un corps était séparé de ses membres, l'esprit était privé de son pouvoir et ne pouvait se venger ni aider les vivants. Pourquoi avaient-ils laissé le shaman intact? Pensaient-ils que leurs pouvoirs étaient tellement supérieurs aux siens? Des mouches commençaient à s'installer sur le corps et Chagak les chassa.
Le visage du shaman offrait encore le rictus de la mort et son dos était arqué comme si son esprit s'était échappé par la blessure de sa poitrine, soulevant le corps en s'enfuyant. L'une de ses mains était agrippée à un bâton sculpté, emblème sacré transmis du shaman d'un village à son successeur. Lentement, Chagak se pencha, prête à reculer, elle allait se brûler en touchant cet objet tabou. Car quelle femme serait autorisée à s'approprier ce symbole de puissance? Mais dans sa main le bâton parut fort ordinaire.
Cependant, quand elle essaya de le détacher de la main du mort, il le tenait tellement serré qu'elle ne put le lui faire lâcher. Espérant que son esprit se trouvait près de là et l'entendrait, Chagak murmura :
— Je ne désire pas le prendre pour moi mais pour aider les esprits de mon peuple.
Pourtant le shaman refusa de lâcher prise.
— Comment pourrais-je les enterrer? reprit Chagak dans un sanglot.
Elle se détourna et aperçut une amulette à une courte distance du corps. Plus grande que celle des chasseurs, c'était la plus puissante source de pouvoir du shaman. D'une main tremblante, Chagak la ramassa.
Levant l'amulette au-dessus de sa tête, elle se tourna vers la montagne Aka :
— Tu vois ceci, cria-t-elle, en élevant la voix pour dominer le bruit du vent et de la mer, si tu ne veux pas que je la prenne, je la rendrai au shaman.
Elle attendit un signe, un rayon de soleil en haut de la montagne, un changement dans le vent, mais la montagne ne se manifesta pas et Chagak glissa l'amulette autour de son cou et ressentit quelque réconfort à ce poids contre sa poitrine, comme si un autre cœur battait près du sien.
Elle aurait voulu courir à travers le village pour voir si, par chance, Traqueur de Phoques était encore en vie. Mais aucun esprit ne pouvait se reposer, ne pouvait prendre sa place dans la joyeuse danse des Lumières du Nord, tant que son corps ne serait pas honoré, et le shaman devait être enterré le premier.
Chagak vit une natte tressée près du plus proche ulaq. Son extrémité était brûlée, mais le reste était intact et solide. Elle la posa près du corps du saint homme et tira
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