Ma soeur la lune
bébés chez les Premiers Hommes. Amgigh serait fier d'avoir un fils et, lorsque Samig reviendrait de chez les Chasseurs de
Baleines, lui aussi verrait que Kiin lui avait donné un fils. Quel plus beau cadeau une femme pouvait-elle faire?
45
Trois jours après la naissance, Femme du Ciel vint dans la hutte de Kiin. Les bébés dormaient, chacun dans un berceau suspendu aux pieux de saule.
Le Corbeau avait fabriqué des rectangles de bois munis d'une courroie en peau de phoque pour maintenir le bébé au centre du rectangle. Chaque côté correspondait à une direction du vent — est, la nouvelle vie; sud, le soleil; ouest, la mort; nord, les Lumières Dansantes.
— Us dorment? demanda Femme du Ciel debout dans l'encadrement de la hutte.
— Oui, grand-mère, dit Kiin en hochant la tête.
— Bien.
Mais, pour la première fois depuis qu'elle la connaissait, Kiin trouvait Femme du Ciel nerveuse, hésitante, se tordant les mains, clignant les yeux trop rapidement.
— Les esprits t'ont-ils parlé? s'enquit-elle.
Avec un tremblement qui fit battre son cœur à petits coups sourds, Kiin répondit comme si elle ne voyait pas où Femme du Ciel voulait en venir :
— N-non, dit-elle en essayant de sourire, comme le ferait toute mère de deux fils.
Femme du Ciel entra dans la hutte et s'assit, jambes croisées, sur les matelas d'herbe. La lampe à huile lâcha de la fumée lorsque l'abattant se referma.
— Kiin, déclara Femme du Ciel d'une voix ferme et avec un regard si noir que même les flammes de la lampe ne pouvaient en percer la profondeur. L'un de tes fils est mauvais. L'un d'eux doit mourir.
— Non, se récria Kiin d'une voix forte. Mes f-f-fils ne sont pas mauvais. Tu vois bi-bien qu'aucun n'appartient à Qakan. Si tu connaissais mon mari, tu ve-verrais que le premier est à lui, en tous points. Si tu connaissais le frère de mon mari, Sa-Samig, tu verrais que le de-deuxième né lui appartient. En tous points il est Samig, même dans la fo-force de son cri, l'épaisseur de ses cheveux.
— Et pourquoi ce deuxième né appartiendrait-il à Samig? demanda Femme du Ciel en se penchant sur Kiin pour plonger ses yeux dans les siens.
— Samig n'a pas de f-femme et il a été en-envoyé dans la tribu des Chasseurs de Baleines pour apprendre à... à chasser la baleine. Mon mari Amgigh m'a par-partagée avec Samig le temps d'une nu-nuit pour le consoler avant son départ.
Femme du Ciel hocha la tête.
— Mes f-fils sont comme tous les hommes, avec un mélange de bon et de mauvais, le choix leur revient, pas quelque chose dé-décidé par quelque es-esprit avant leur naissance.
La chaleur des mots de Kiin s'élevait en brise légère près des berceaux. Le fils d'Amgigh se mit à pleurer.
Kiin se leva et prit le bébé. La bandoulière pendait sous le suk de Kiin, la lanière sur son épaule, en travers de son dos et sous l'autre bras. Kiin glissa l'enfant dans la partie la plus large qui soutenait son dos et sa tête puis passait entre ses jambes. Kiin glissa son sein dans la bouche du nourrisson.
— Les rêves de ma sœur se réalisent toujours, repartit Femme du Ciel. Et elle a vu cela avant que tu ne viennes à nous. Ne t'a-t-elle pas dit que tu aurais deux bébés? Ne t'a-t-elle pas dit que ce seraient des fils?
Mais Kiin refusait de lever les yeux sur le visage brun et ridé pour affronter le regard de la femme.
Pendant un long moment, Femme du Ciel demeura assise sans un mot, puis, lorsque le fils de Samig pleura lui aussi et que Kiin se leva, elle se leva à son tour. Femme du Ciel prit le bébé dans son berceau avant Kiin. Elle resta là, debout, à le bercer, puis elle regarda Kiin, qui vit des larmes couler sur le visage de la vieille femme.
— Tous mes fils, à l'exception de Chasseur de Glace, sont morts bébés, murmura-t-elle. Kiin, Femme du Soleil n'a pas eu de rêve là-dessus, mais mon esprit à moi me dit que celui-ci est le mauvais fils, cet enfant aux cheveux noirs est celui qui apportera la destruction.
Kiin ne dit rien. Elle tendit seulement les bras et serra l'enfant tout nu contre les plumes douces de son suk.
— Je m'en vais, maintenant, annonça Femme du Ciel dans la langue Morse.
— V-va, si tu le désires, répondit Kiin, elle aussi dans la langue Morse.
Elle voulut ajouter « reviens me voir », mais sa gorge se bloqua.
Femme du Ciel referma le rabat derrière elle, mais Kiin sentait encore sa présence : elle était juste à l'extérieur de
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