Ma soeur la lune
un instant. Naturellement, Qakan était persuadé qu'il était père. Peut-être était-ce suffisant pour qu'il veuille les protéger. Peut-être. Ou peut-être voulait-il seulement que Kiin l'accompagne pour pouvoir l'échanger une fois de plus et troquer les bébés. Les bébés ne valaient pas grand-chose. Ils ne pouvaient ni chasser, ni pêcher, mais ils étaient ses fils, nés en même temps. Même le Corbeau reconnaissait leur pouvoir.
Ainsi, qu'il soit père ou commerçant, Qakan protégerait les bébés. Mais Qakan était Qakan. Qui pouvait lui faire confiance?
— Je ne-ne te... crois pas, insista Kiin. Le Corbeau protégera ses f-fils.
— Ce sont mes fils, siffla Qakan. Et bientôt ils seront morts si tu ne pars pas avec moi ce soir.
— Tu pars ce-ce soir?
— Oui. Viens avec moi. Apporte les bébés.
Kiin se détourna.
— Non, Qakan. Non.
— Si tu ne me crois pas, alors crois ceci. Le Corbeau dira à une des femmes de t'amener sur la plage. Il prétendra que Queue de Lemming est blessée. Quand tu quitteras l'ulaq, grand-mère entrera et tuera un des bébés.
« L'enfant de Samig, murmura l'esprit de Kiin. Elle tuera l'enfant de Samig. »
— Tu mens, dit-elle pourtant.
Elle rampa à l'intérieur de l'ulaq.
Qakan attendait, nerveux et inquiet. Le Corbeau péchait et tant qu'il était éloigné... Il avait fallu deux colliers pour persuader Queue de Lemming de passer la soirée dans un autre ulaq, mais c'étaient de petits colliers. Si cela ne marchait pas, il lui faudrait attendre un jour supplémentaire, et chaque jour qu'il perdait augmentait les chances qu'on découvre le corps de Cheveux Jaunes. Certes, en tant que mari, il était propriétaire de sa femme. Un homme pouvait battre sa femme, mais la tuer? Et qui pouvait savoir comment réagirait le Corbeau quand il découvrirait tout?
Lanceuse d'Argile arriva, et Qakan sut que les esprits honoraient son plan. Cette jeune femme était crédule, et facile à berner. Qakan rejeta en arrière la capuche de son parka et s'ébouriffa les cheveux, puis fonçant entre les ulas, saisit le bras de la jeune femme.
— Vite, vite! s'écria-t-il dans un souffle. Le Corbeau dit que tu dois amener Kiin. Dis-lui que le Corbeau la veut. Queue de Lemming est blessée. Ils sont là-bas, derrière le village. Il a peur que Queue de Lemming ne soit en train de mourir.
Lanceuse d'Argile resta un moment à dévisager Qakan, arrondissant la bouche, écarquillant les yeux. Qakan la poussa dans l'ulaq du Corbeau.
— Va, maintenant. Dis à Kiin que le Corbeau a besoin d'elle.
Qakan regarda la femme courir dans l'ulaq du Corbeau, puis se dirigea vers la plage. L'ik était prêt.
Kiin agrippa les épaules de Lanceuse d'Argile et la secoua.
— C'est le Corbeau qui me-me veut ? Le Corbeau ?
— Oui!
Kiin fixa un moment Lanceuse d'Argile du regard. Ainsi, Qakan disait la vérité.
— V-va et dis-lui que j'arrive. Va, maintenant.
Lanceuse d'Argile quitta l'ulaq et Kiin respira profondément. Elle sortit les bébés de leurs berceaux et les glissa dans leurs bandoulières.
— Ne pleurez pas, murmura-t-elle, surtout ne pleurez pas.
Elle leur parlait comme si elle leur chantait une berceuse. Elle poussa un sein contre le visage de chacun et attendit de les sentir téter l'un et l'autre. Puis elle jeta quelques affaires dans un panier — aiguilles, bobines de fils de varech, le long couteau que le Corbeau lui avait donné, un couteau de femme à lame courte. Un bâton de marche, un sac de poisson séché.
Sa poitrine était douloureuse de savoir que Femme du Ciel et Femme du Soleil ne reculaient pas devant pareil méfait. Mais elle entendit la voix de son esprit murmurer : « C'est pour protéger leur peuple. Leur village. Même le Corbeau veut protéger son village. »
Prestement, Kiin rampa hors de l'ulaq et se glissa en hâte jusqu'à la plage. La nuit tombait; le soleil était sombre derrière les nuages, la mer était noire. Qakan lui avait dit qu'il ne partirait pas avant le matin. Elle savait où il rangeait son ik. Il avait dit qu'il y passerait la nuit. Mais elle remarqua soudain l'ik, déjà hors de la baie et Qakan qui pagayait seul.
La peur se fit lourde et épaisse dans sa poitrine, bloquant sa gorge d'où aucun son ne sortait. Une fois, deux fois, elle fit des gestes de la main et, retrouvant enfin sa voix, appela son frère.
« Il ne peut t'entendre », murmura son esprit, faible.
A nouveau, elle appela, sentit le vent
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