Ma soeur la lune
autre lieu, plus près des routes des baleines.
— Nous devons partir maintenant, insista Samig. Cette île est trop petite. Aka pourrait la faire sombrer dans la mer. Il n'y aurait aucune échappatoire.
Kayugh resta assis tranquillement un long moment.
— Tu es un homme, dit-il enfin sans regarder Samig. Mais tu es mon fils. Nous restons.
Samig se leva lentement et quitta l'abri. Oui, il était le fils de Kayugh. Le fils de Kayugh et le fils de celui qu'on avait coupé en morceaux et enterré sans honneur. Qui pouvait dire quelle faiblesse avait été transmise à Samig à travers le sang de celui-là? Peut-être existait-il quelque vérité dans ce qu'affirmaient les Chasseurs de Baleines. Peut-être Samig portait-il un mal qu'il ne comprenait pas, ne contrôlait pas. Si tel était le cas, qui était-il pour désapprouver Kayugh? Si tel était le cas, il ferait mieux d'apprendre de lui.
Qui était meilleur père que Kayugh ? Samig revendiquait Petit Couteau pour fils et il goûtait déjà la fierté devant toutes ses qualités. Mais, en apprenant à être père, Samig devait garder à l'esprit l'exemple de Kayugh.
Tôt, la veille, Petit Couteau avait attrapé un phoque aux abords de la plage.
— Tu nous as apporté la chance ! avait dit Oiseau Gris à Samig.
Et Samig avait éprouvé la joie d'un père lorsque Petit Couteau avait pris sa part de chasseur, graisse et ailerons.
Petit Couteau avait commencé à travailler à son propre ikyak. Il était jeune, plus jeune que Samig lorsqu'il avait tué son premier animal; mais bien des choses avaient changé. Ils vivaient en un nouveau lieu. Ils devaient accepter les nouvelles coutumes. Ici, il y avait beaucoup moins de buissons de baies, et la plage n'était pas une longue étendue de sable et de graviers descendant doucement vers la mer; elle y chutait brusquement, laissant peu de place pour trouver des clams ou des chitons, même à marée basse. Il y avait moins de nourriture à ramasser pour les femmes, aussi les garçons devaient-ils devenir chasseurs.
Mais ce matin-là, tandis que Samig observait l'eau, il ne voyait guère que du gris. Des femmes travaillaient coiffées de cendre. Samig entendit Nez Crochu s'exclamer :
— Dans nos yeux, dans nos cheveux, entre nos dents !
Samig sourit. Nez Crochu. Qui était plus laide? Qui était plus belle?
Le regard de Samig se posa sur Chagak. Elle s'occupait à la fois du feu et de Mésange, qui courait au milieu des femmes et s'approchait souvent trop près des feux de cuisson.
Samig se leva et s'étira, puis s'avança vers Mésange. Sa mère prit l'enfant dans ses bras et Samig s'amusa au cri de protestation de la petite fille.
Chagak étreignit Mésange, puis l'amena à Samig. Mésange tendit les bras à son frère, babillant, émettant de petits rires comme il s'amusait à la lancer en l'air.
— Tu ne chasses pas? s'enquit Chagak.
Samig regarda sa mère avec étonnement. Depuis qu'il était rentré de chez les Chasseurs de Baleines, elle avait rarement entamé la conversation. Samig était désormais un homme à part entière, un chasseur avec une épouse.
— Trop de cendres, répondit-il.
Mais il savait que Chagak comprenait pourquoi les hommes ne chassaient pas.
Elle hocha la tête.
— Oui, pour nous aussi, dit-elle.
Samig sourit.
— J'ai entendu Nez Crochu.
Chagak rit, sans un mot.
Elle le suivit quand il se dirigea vers la plage. Samig comprit que sa mère avait parlé la première parce qu'elle avait quelque chose à lui dire. Voyant qu'elle ne soufflait mot, Samig s'élança vers l'eau, s'amusant à balancer Mésange dans ses bras. Peut-être sa mère avait-elle seulement besoin qu'il surveille sa petite sœur.
— Je vais la garder pendant que tu travailles, s ecria-t-il.
Mais Chagak le rattrapa.
— Je fais quelques pas avec toi.
Samig hissa Mésange sur ses épaules. La petite fille s'accrochait aux cheveux de son frère et enroulait ses jambes autour de son cou.
— Quand je suis parti, c'était encore un bébé, remarqua Samig. Regarde comme elle est grande, maintenant. Plus grande que sa mère.
Chagak leva les yeux sur sa fille et éclata de rire.
— Oui, mais elle marche avant de parler, et ce n'est pas bon. Elle se cogne partout et ne comprend rien.
— Peut-être est-ce un avantage pour elle de ne rien comprendre, repartit Samig.
— Comme Trois Poissons.
Samig eut un rapide coup d'œil pour sa mère. Toute trace de rire avait disparu de ses yeux.
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