Ma soeur la lune
maintenant, pour tous, Samig devait être un homme.
— Parle, dit Kayugh.
Avant que Samig ne puisse ouvrir la bouche, il y eut un grondement sourd et l'île trembla, des roches jaillirent des murs de l'abri. Dominant le tumulte, le long gémissement de Trois Poissons fut entendu par Samig.
La secousse s'apaisa et la poussière se posa.
— Y a-t-il des blessés? s'écria Kayugh. Samig se leva et scruta l'obscurité.
— Nous ne nommes pas touchées, annonça Chagak.
Trois Poissons s'élança alors hors de la grotte. Son visage était strié de larmes et de terre. Elle courut jusqu'à Samig et s'agenouilla à ses pieds.
— Rentre, fit-il entre ses dents.
Mais Trois Poissons enroula ses bras autour des jambes de Samig; ses épaules étaient secouées de sanglots.
— Ramène-moi chez mon peuple, supplia-t-elle. Aka va nous tuer. Il faut partir. Ne m'oblige pas à rester! Nous allons tous mourir!
Chagak sortit à son tour et s'agenouilla près de la jeune femme.
— Viens avec moi, Trois Poissons. Tu es en sécurité.
— Non! hurla-t-elle d'une voix stridente tout en s'accrochant avec plus de vigueur à Samig.
— Calme-toi, dit ce dernier. Reste tranquille. Va avec ma mère.
Mais Trois Poissons refusait de lâcher prise.
— Tu le dois.
Puis, élevant la voix, il appela Nez Crochu. Celle-ci parut et aida à relever Trois Poissons. Les trois femmes réintégrèrent l'abri. Samig reprit sa place et vit le regard de Petit Couteau posé sur lui. Pourtant il ne souffla mot.
Il ferma les yeux tout en essuyant la poussière de son visage. Les hommes chuchotaient, quand, soudain, la voix de Kayugh retentit :
— Tu voulais parler, Samig? Samig affronta le regard de son père.
— Oui. Je veux dire ce qui n'aurait pas dû être dit. Il marqua une pause, étudiant les visages autour
de lui.
— Nous devons partir ou nous mourrons. Dans le murmure qui s'éleva, Premier Flocon se
tourna vers Kayugh :
— Il dit vrai. Moi, ma femme et mon fils allons partir, même si nous devons le faire seuls.
— Tu es un imbécile, répliqua Kayugh. Bientôt, nous retournerons à notre plage. Nous chasserons la baleine. Nous n'aurons jamais faim. Si tu pars maintenant, où iras-tu?
Premier Flocon porta son regard vers Samig, qui répondit :
— Nous devons nous éloigner de la mer. Le tremblement d'Aka provoque des vagues assez hautes pour tout recouvrir sauf les montagnes.
— Loin de la mer, il n'y a que de la glace, objecta Kayugh.
Alors, Amgigh se leva et Samig fut soulagé, croyant que son frère le soutiendrait contre leur père.
Mais Amgigh gronda :
— Qui es-tu pour discuter avec mon père ?
Les mots, froids et durs, s'arrêtèrent dans la poitrine de Samig qui ouvrit la bouche pour répondre mais ne put sortir aucun son.
— Ta mère Chagak nous a dit que ton père était un des Premiers Hommes, poursuivit Amgigh, qu'il avait été tué par les Petits Hommes, mais certains parmi nous connaissent la vérité.
Les yeux de Samig errèrent sur les visages des hommes. Chacun avait l'air surpris. Longues Dents secouait même la tête en signe de désapprobation; mais les yeux de Samig tombèrent sur Oiseau Gris. L'homme souriait.
Samig perçut un bref mouvement à l'entrée de la grotte. Sa mère était là, livide.
— Le père de Samig était un Petit Homme, cracha Amgigh, les lèvres retroussées.
Samig regarda Kayugh, vit que ses yeux étaient agrandis, sa bouche ouverte. Samig comprit que, si ce qu'Amgigh disait était vrai, Kayugh l'ignorait.
Puis Samig pivota vers sa mère. Chagak tenait un bola dans une main, un couteau d'obsidienne dans l'autre. Il se rappela les os éparpillés dans l'ulaq funéraire et sut que sa mère était assez forte, assez violente, pour avoir tué l'homme qui était son père.
Samig était là, debout, le regard planté dans celui d'Amgigh. Refusant de laisser la colère des yeux d'Amgigh lui faire baisser la tête, Samig dit :
— Nous avons toujours été frères.
— Je ne suis pas ton frère, répliqua Amgigh.
— Tu n'as perdu personne pour les Petits Hommes, Amgigh. Ma mère a perdu son village entier et il y a eu de nombreuses pertes au village de Petit Couteau. Ce sont eux qui devraient chercher vengeance. Ce sont eux qui devraient chercher ma mort.
Il se tourna à nouveau vers Chagak, qui s'était rapprochée du cercle des hommes.
— Tu es mon fils, déclara-t-elle. Je ne suis ni chasseur ni guerrier, mais si quiconque ici cherche
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