Ma soeur la lune
Petit Couteau qui se tenait debout près de lui.
— Mon fils, dit Petit Canard avec douceur, des larmes plein les yeux. Mon propre fils. Samig t'a ramené à moi.
Elle voulut s'asseoir en s'aidant des mains de Longues Dents.
— Samig, Samig, pressa-t-elle. Tu dois l'emmener d'ici. Ce lieu est un lieu de mort. Emmène-le dans un bon endroit. Un endroit sûr. Tu dois partir. Je t'en prie, Samig, tu es plus fort qu'Aka. Tu es plus fort...
Ses mots s'achevèrent en un râle et elle retomba sur le lit. Elle ferma les yeux et, quand ils se rouvrirent, ce fut pour libérer son esprit.
Nez Crochu poussa un gémissement et Chagak regarda Samig.
— Tu as raison. Nous devons quitter cette île.
Kayugh se tourna et s'éloigna.
60
Chagak ne tenta pas de suivre son mari. Elle devait d'abord aider à laver et préparer le corps de Petit Canard. Alors seulement, si Kayugh la répudiait, s'il déclarait qu'elle n'était plus son épouse, alors seulement elle déciderait que faire. Alors seulement elle pleurerait sur tout ce qu'elle avait perdu.
Chagak fouilla dans ses affaires et trouva une vessie de phoque d'huile raffinée provenant de la baleine de Samig. Elle l'avait tamisée et mise de côté pour les cérémonies, pour les funérailles et les attributions de nom. Elle trouva le morceau de bois flotté que Kayugh avait taillé en peigne pour ses cheveux, et emporta le tout dans l'abri.
Déjà, Nez Crochu s'affairait à enduire le visage de Petit Canard d'huile et d'ocre rouge; Baie Rouge et Coquille Bleue lavaient les pieds et les mains de la femme. Chagak s'assit et posa la tête de Petit Canard sur ses genoux. Elle entreprit alors de peigner ses cheveux, défaisant chaque nœud avant de faire pénétrer l'huile. Les cheveux de Petit Canard étaient devenus minces et ternes depuis la mort de son fils, depuis qu'elle avait cessé de manger. Chagak devait procéder avec douceur afin que les mèches ne cèdent pas sous ses doigts.
Nez Crochu avait déjà coupé ses cheveux très court. Toutes les épouses ne portaient pas le deuil de la deuxième épouse de leur mari, mais Petit Canard avait été comme une petite sœur pour Nez Crochu, non une rivale.
Tandis que ses mains travaillaient, les pensées de Chagak allèrent à Kayugh. Elle avait toujours su qu'Oiseau Gris lâcherait un jour la vérité concernant le père de Samig. Pauvre Shuganan, comme il avait pris soin de raconter l'histoire de la naissance de Samig de telle sorte que Kayugh et son peuple croient que l'enfant était fils des Premiers Hommes. Puis, au moment de mourir, dans ses visions du monde des esprits, Shuganan avait tout dévoilé à Oiseau Gris — l'homme qui utilisait toujours ce qu'il savait pour son propre bénéfice, qui se réjouissait de causer du chagrin à autrui. Si Oiseau Gris ne s'était pas caché derrière elle tremblant de peur tandis qu'elle tuait le Petit Homme, il aurait tout dit depuis longtemps.
Du moins Samig était-il assez grand pour se défendre. Et il s'était montré l'égal de tous, en envoyant une baleine à son peuple, puis leur amenant un autre chasseur, un garçon près d'être un homme. A part Oiseau Gris et peut-être son fils Qakan, nul ne souhaiterait la mort de Samig. Et Oiseau Gris devrait savoir qu'il ne possédait pas assez de pouvoir pour tuer Samig, et Qakan... Qui pouvait dire où était Qakan ou s'il reviendrait jamais?
Ayant achevé de préparer les cheveux de Petit Canard, elle se releva.
— Je vais chercher Kayugh, annonça-t-elle.
Elle passa près des deux femmes et s'arrêta quand Baie Rouge lui prit la main.
— Sois sage, mère, dit la fille.
Chagak sourit, heureuse de constater que la fille la plus âgée de Kayugh la considérait toujours comme sa propre mère.
Ainsi qu'elle s'y attendait, Chagak trouva Kayugh sur la plage, comme si son seul désir était de quitter cet endroit, de se pousser dans la mer comme un phoque s'arrache au rivage pour faire corps avec les vagues.
Chagak demeura immobile, attendant que Kayugh la remarque et s'avance vers elle. Elle baissa la tête tout en gardant les yeux sur son époux.
— Tu aurais dû me dire, fit Kayugh.
Chagak reconnut à sa voix qu'il était blessé.
— Pensais-tu que j'allais tuer Samig? ajouta-t-il.
— Comment aurais-je pu savoir ce que tu allais faire ou pas? Quand tu es venu à nous, je ne te connaissais pas. Tu n'étais pas mon époux.
— Pas encore, repartit Kayugh qui se détourna et reprit sa marche. Une fois
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