Ma soeur la lune
cadeaux, le bébé se mit à pleurer.
Kiin éclata de rire.
— V-v-va, le-le-le nourrir.
Baie Rouge scruta la plage.
— Samig arrive. Il va t'aider. Ce petit réclame son lit.
Elle s'éloigna en hâte et Kiin leva les yeux. Les hommes étaient accroupis autour du feu, mangeant la nourriture que les femmes leur apportaient. Samig se dirigeait vers elle, un morceau de phoque séché à la main.
— As-tu faim? demanda-t-il.
Il déchira la viande en deux et en donna un bout à Kiin. Puis, avant qu'elle n'ait eu le temps de le remercier, il ajouta :
— Tu as un nouveau suk.
— Ta-ta mère, dit Kiin.
Elle prit entre ses doigts le collier de perles qui se balançait sur ses seins. La nacre scintillait de couleurs douces. Elle voulait lui dire merci, mais elle avait beau faire, les mots n'arrivaient pas à ses lèvres, comme si un esprit les avait volés.
Samig se pencha sur elle et glissa une main sous le collier.
— Ces trois-là, expliqua-t-il en caressant trois des perles, viennent de coquillages que j'ai trouvés au cours de notre longue chasse où mon père a tué le morse.
Ses doigts coururent sur le collier.
— Celle-ci vient d'un collier qui a autrefois appartenu à une grand-mère morte avant ma naissance. Cette perle-ci vient d'un os de mon premier phoque. La plupart des perles sont sculptées dans des coquillages que j'ai trouvés sur notre plage ou dans les environs. Il y a des années que je te prépare ce collier.
— M-m-merci, souffla Kiin.
Samig sourit.
— C'est mieux que des sacs à baies, dit-il.
Kiin rit.
Les yeux de Samig s'assombrirent et il scruta le visage de la jeune fille.
— Du moins as-tu été en sécurité pendant ces quelques jours, dit-il enfin. Loin de ton père et de ton frère.
— Je-je-j étais toute seule.
Elle vit la surprise dans les yeux de Samig.
— Ma-ma-ma mère m'a manqué, confia Kiin avant d'ajouter, les mots lui venant aisément : Tu m'as manqué.
Puis elle rougit et regretta ses paroles. Une femme ne disait pas ces choses, sauf à son mari ou à ses enfants.
Samig détourna les yeux et observa la mer longuement, sans parler. Enfin, il murmura :
— Bientôt tu appartiendras à un mari, alors ton père te laissera tranquille.
Il parlait si doucement qu'on aurait dit le mouvement des vagues. Puis il se détourna et s'éloigna.
Kiin observa le balancement de ses épaules bien droites, l'éclat de ses cheveux noirs que le vent écartait de son visage. Elle se rappela ses doigts légèrement pressés sur sa gorge, les perles roses et blanches sur sa peau brune.
Samig retourna près du feu et s'installa à côté de Longues Dents. Kiin sourit. De tous les vieux du village, Longues Dents avait sa préférence. Quand il était sur la plage à travailler à son ikyak ou à ses armes, il rejetait la tête en arrière et riait, comme s'il se racontait des blagues à lui-même. Pourquoi pas, après tout? D'autres hommes inventaient des chants quand ils travaillaient. Pourquoi pas des plaisanteries?
Longues Dents et sa femme, Nez Crochu, s'étaient toujours montrés gentils avec elle. En bien des occasions, Kiin serait restée dehors toute la nuit après s'être fait rosser par son père ; plutôt les vents glacés de la nuit que l'ulaq de son père. Mais Nez Crochu venait généralement la chercher pour l'emmener chez Longues Dents. Ils lui donnaient quelque chose à manger, plusieurs œufs de macareux ramassés par Nez Crochu et remisés dans de l'huile et du sable au creux de la cache de nourriture, sur le devant de l'ulaq. Oiseau Gris refusait toujours cette gâterie à Kiin, pourtant c'était toujours elle qui escaladait les falaises pour dénicher les œufs.
Kiin rentrait chez son père au petit matin. Elle faisait comme si elle n'avait pas d'ecchymoses, comme si elle n'avait pas passé la nuit ailleurs. C'était le meilleur moyen. Et si Qakan faisait une quelconque allusion, elle haussait les épaules en silence.
Kiin jeta un regard en direction des ulas. Toutes les femmes avaient déserté la plage, à l'exception de Chagak, qui continuait d'apporter de la nourriture aux hommes. Un panier à œufs était accroché à l'un de ses bras tandis qu'elle portait un estomac de lion de mer qui contenait, à n'en pas douter, du flétan séché.
Kiin se hâta de l'aider.
— Merci, dit Chagak. Mon mari m'a dit qu'ils en avaient encore pour longtemps.
— Je-je v-v-vais r-r-rester pour aider, proposa Kiin.
Elles portèrent ensemble
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