Ma soeur la lune
soudain sa place dans la cérémonie. Elle se rendit au côté de sa mère et attendit qu'elle ait ramassé une des ceintures. C'était pour Kayugh. Kiin la lui porta, la posa sur ses bras tendus. Après quoi, elle prit le cadeau qu'il lui offrait, deux peaux de phoque.
La ceinture suivante était pour Longues Dents, un homme qui aimait rire et plaisanter. Sur la peau, Kiin avait tracé des motifs d'hommes dans des ikyan chassant le phoque. Kiin savait que ces dessins ajouteraient du pouvoir à ses chasses, et elle aperçut l'éclair de joie dans les yeux de Longues Dents quand il prit la ceinture de ses mains, lui donnant en échange une peau de phoque veau marin.
Ensuite vint le tour de son père. Il prit sa ceinture et lui donna deux lampes de pierre. Premier Flocon lui offrit des pierres de cuisson et un estomac de phoque d'huile. Puis ce fut le tour de Samig. Remarquerait-il que de toutes, sa ceinture était la plus belle?
Tandis que Kiin posait la ceinture sur les bras tendus de Samig, elle leva les yeux, osant croiser son regard.
— Elle est magnifique, Kiin, dit Samig dont la voix embellit le nom de la jeune fille.
Puis il tira de son parka une longue rangée de perles de coquillage. Il tendit les mains pour passer le collier au cou de Kiin. La parure, blanche et scintillante dans la lumière tamisée du feu, se détachait sur son suk. Elle la contempla, émerveillée.
Peut-être pouvait-elle oser espérer, commencer de voir en Samig celui qui serait son époux. C'est alors qu'il déclara :
— Je te fais ce présent en mon nom et en celui de mon frère Amgigh.
De surprise, elle regarda Amgigh qui était là avec un petit sourire contraint et un regard dur. Kiin lui donna sa ceinture et attendit de voir s'il allait lui parler, mais il ne souffla mot.
La dernière ceinture alla à Qakan. Elle comportait peu de motifs décoratifs mais le tissage en était compliqué, les bandes de peau de phoque allant et venant comme autant de vagues. Elle avait découpé des silhouettes de phoques dans un morceau plus foncé et les avait cousues entre les vagues. Son frère ricana lorsqu'elle lui offrit la ceinture et elle leva sur lui des yeux étonnés. La ceinture n'était pas aussi spectaculaire que celle des hommes plus âgés, mais elle était belle et lui conférerait un grand pouvoir sur les phoques. Il lui tendit son cadeau, deux sacs d'herbe tressée pour y mettre des baies, sacs que Kiin avait elle-même confectionnés, ce qui l'enra-gea. De quel droit Qakan méprisait-il son présent quand le sien était si piètre ?
Elle plongea les yeux dans ceux de son frère.
— Je-je te s-s-souhaite du pouvoir dans ta... chasse.
C'était vrai, car chaque chasse était utile à tout le village. Puis la colère enfla. Comme souvent, les mots issus de la colère s'échappèrent en un flot aisé :
— Je-je te remercie pour les sacs à baies. Il t'a sûrement fallu des heures pour les tresser.
Elle avait parlé d'un ton tranquille. Elle savait que nul hormis Qakan ne l'entendait, mais elle savait aussi que l'accuser d'avoir fait un travail de femme l'humilierait.
Le visage de Qakan s'assombrit et Kiin lutta pour ne pas détourner les yeux. J'ai une âme, se dit-elle. Il ne peut me faire aucun mal. Puis elle sentit une voix en elle, son esprit qui bougeait et lui disait : « Son ignorance n'excuse pas la tienne. » Kiin rougit et recula vers le centre du cercle.
Tandis qu'elle s'agenouillait pour placer les sacs à baies avec les autres cadeaux, elle leva les yeux sur les visages de ceux qui l'entouraient. Ils voient la valeur du cadeau de Qakan. Qu'ils jugent par eux-mêmes.
Alors, lentement, Kiin se releva. Sa mère était retournée à sa place près de Nez Crochu. Kiin était seule. Tous se taisaient et Kiin sentit le poids de leur regard. Elle releva la tête et attendit les paroles qui viendraient ensuite.
Kayugh parla enfin :
— Tu es femme, dit-il.
— Tu es femme, dit Longues Dents.
— Tu es femme, répéta son père.
Premier Flocon, Samig, Amgigh et enfin Qakan prononcèrent ces mots.
« Tu es femme », dit l'esprit de Kiin.
7
— Tu as reçu de magnifiques présents, dit Baie Rouge à Kiin.
Craignant que les mots ne se bloquent au fond de sa gorge, Kiin se contenta d'acquiescer d'un sourire.
Baie Rouge, la sœur de Samig, était la plus jeune des épouses. Elle portait un nourrisson à une bandoulière sous son suk et, comme Baie Rouge se penchait pour aider Kiin à rassembler ses
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