Ma soeur la lune
était faible ? Peut-être Qakan avait-il raison de prétendre que son esprit s'échappait peu à peu, avec chaque mot qu'elle prononçait.
Je vais rester là jusqu'au matin, se dit-elle. Puis je trouverai un endroit où me cacher.
Pendant un long temps, elle ne bougea pas, puis elle finit par sentir les pierres qui meurtrissaient son dos et ses jambes, et elle se mit sur son séant, lentement, afin que sa tête ne tourne pas. Elle aménagea un emplacement sur la falaise, puis arracha de l'herbe pour se faire une couche.
Kiin s'assit sur le monticule d'herbe et regarda le ciel. Les nuages se déplaçaient comme des rides de sable sur l'éclat de lune. Elle se frotta les yeux, pressa la main sur la coupure de sa joue, mais quelque chose près du lit retint la lumière de la lune. Kiin tendit la main. C'était le collier de coquillages que Samig lui avait donné. Qakan avait dû l'arracher, mais comme il était noué entre chaque perle, il ne manquait que quelques-unes des perles les plus petites.
Elle saisit son amulette et sentit la figurine que Chagak lui avait donnée. Elle était toujours là.
Puis une voix lui parvint. Son esprit qui parlait, ou la voix des falaises, ou celle de la mer? « Tu dois te battre contre Qakan. Sinon, Qakan fera du mal à trop de gens. Tu es la seule à savoir véritablement à quel point il est mauvais. »
— Non, répondit Kiin. Non, non, non.
Elle se cacherait dans les falaises, dans les collines. Il ne la trouverait jamais.
Mais la voix revint : « Tu dois retourner. Tu dois retourner. »
Cette fois encore, Kiin dit non à l'esprit. Sa voix, forte et claire, ne se heurta pas aux mots.
— Pourquoi m'inquiéterais-je des Chasseurs de Morses? demanda-t-elle en lançant la question à la falaise, à la mer, à la lune. Pourquoi m'inquiéte-rais-je du mal que Qakan peut leur causer?
D'abord, il n'y eut rien. Puis la réponse arriva, douce comme une voix de grand-mère, s'élevant tout autour d'elle, du collier de coquillages, chaud au creux de sa main, du suk de Chagak, à la fourrure si moelleuse contre sa peau, de la figurine de Shuganan qui pendait à son cou : « Parce que ce sont des hommes. »
— Ce n'est pas mon peuple, objecta Kiin.
Pourtant, elle inclina la tête, sachant soudain que,
quel que fût l'esprit qui parlait, esprit de la lune, du vent ou de la mer, il avait raison.
— Demain, murmura Kiin, chantant les mots pour qu'ils ne s'accrochent pas au fond de sa gorge, demain je me battrai encore contre Qakan. Et si je gagne, je retournerai à mon peuple. Sinon, je dirai la vérité aux Hommes Morses, quoi qu'il m'en coûte.
Elle remonta les jambes à l'intérieur de son suk et s'allongea sur l'herbe. Le vent se prit dans ses cheveux, les faisant gonfler comme un lagopède pris dans des rets.
25
— Allez! s'énerva Qakan.
Kiin se pencha sur la proue de l'ik et poussa, tandis que Qakan plongeait sa pagaie dans l'eau et lançait le bateau à travers les vagues. L'eau était froide sur ses jambes ; les rochers blessaient ses pieds nus.
Tôt ce matin-là, Qakan avait grimpé les falaises et tiré Kiin de son sommeil en la secouant.
— Je ne t'ai pas touchée la nuit dernière, dit-il lorsqu'elle ouvrit les yeux. Tu portes mon fils.
Il prononça ces mots avec agressivité, faisant la moue comme un gamin.
— Ce n'est pas le fils d'Amgigh, ajouta-t-il.
Épuisée, Kiin roula loin de lui et se leva tant bien
que mal.
— Si tu m'as menti..., commença Qakan.
— Je n'ai pas menti, affirma Kiin, sans la moindre certitude.
Elle n'avait pas eu de sang à la pleine lune, mais sa mère lui avait expliqué qu'au début, tant que la lune n'était pas habituée à la considérer comme une femme, ses périodes de saignement ne suivaient pas le chemin régulier des femmes.
— Pousse!
Kiin obtempéra et sauta pour attraper les bancs de nage à l'instant où l'ik glissa en eau profonde. Une fois dans l'embarcation, elle enfila son suk, utilisant le bas pour sécher ses pieds et ses chevilles.
Oui, j'ai menti, songea Kiin. J'ai menti, Qakan, et aujourd'hui, je vais entreprendre notre voyage de retour vers notre peuple. Si Kayugh dit que je suis maudite, alors je le suis. Peut-être me laissera-t-il vivre au village dans un ulaq à moi. Peut-être pour-rai-je aider chaque famille pour la couture et le tissage. Ce serait toujours mieux qu'être troquée comme esclave des Chasseurs de Morses. Mais si je ne trouve pas le moyen de rentrer ou si tu es plus
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