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Ma soeur la lune

Ma soeur la lune

Titel: Ma soeur la lune Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Sue Harrison
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fort que je ne le crois, alors je poursuivrai, afin d'avertir les Hommes Morses.
    Elle attendit, cependant que le matin s'écoulait, observant Qakan de plus en plus fatigué de pagayer.
    Finalement, elle se mit à pêcher. Elle avait constaté sans surprise que tout le poisson séché avait disparu. Qakan devait avoir passé la nuit à manger. Mais il faudrait de la nourriture pour le long voyage de retour. La viande de phoque séchée et les racines que Qakan avait apportées n'étaient pas suffisantes, même pour un homme normal, et Qakan mangeait comme deux ou trois.
    Elle déroula une ligne de fibre de varech, noua un crochet à une extrémité, et la plongea dans l'eau. La ligne subit une secousse et Kiin l'enroula au fur et à mesure autour de sa main gauche. Un petit hareng frétillait, se débattant contre l'hameçon. Kiin tira le poisson dans l'ik, l'ouvrit, le vida, puis dégrafa le crochet de sa gorge et attacha le poisson à la proue, ventre ouvert, pour qu'il sèche au vent.
    — J'ai faim, se plaignit Qakan.
    Kiin trancha la tête du poisson et la lui tendit sans un mot.
    Qakan sortit sa pagaie de l'eau mais, avant de la ranger au fond de l'ik, il la balança au-dessus de la tête de Kiin et éclata de rire quand l'eau lui dégoulina dans le cou. Kiin avait compris que Qakan se lassait vite de ce jeu si elle l'ignorait ; elle resta donc assise, indifférente, essayant de ne pas bouger.
    Finalement, Qakan posa sa pagaie et commença à manger la tête de poisson.
    Kiin essora ses cheveux, puis noua un morceau de boyau à l'hameçon et trempa à nouveau sa ligne.
    Qakan menait rarement l'ik en eau profonde, où l'on trouvait du flétan. Il longeait la côte. Dans le but d'éviter les chasseurs des autres tribus, prétendait-il, mais Kiin savait parfaitement que la vraie raison était sa peur de l'eau. Il était facile de voir la terreur qui pâlissait le coin de ses yeux quand les vagues étaient trop hautes ou le vent trop fort.
    Au bout de deux ou trois jours, ils avaient perdu de vue Tugix, puis Aka, la montagne de Chagak, mais ils avaient passé bien d'autres montagnes et on aurait dit que les esprits étaient en colère, car des nuages de fumée et parfois une brume de cendres en entouraient la plupart des sommets.
    Comme ils poursuivaient en direction des villages Morses, les vallées séparant les montagnes étaient souvent glacées comme les rivières bleues qui des-cendaient dans la mer. Parfois, la glace s'étendait si loin qu'il fallait la contourner et Kiin sentait alors un souffle de vent froid s'arracher à la surface de la glace pour gagner le fond de l'ik.
    — Des esprits, murmurait Qakan, pâle et en sueur.
    Kiin, elle, n'éprouvait aucune crainte. S'ils étaient bienveillants, ils pourraient éloigner sa malédiction; s'ils étaient malveillants, ils feraient peut-être sombrer l'ik. Elle se noierait et Qakan aussi.
    Kiin se souvint des histoires que son père racontait sur les hommes bleus qui habitaient dans ces fleuves. Parfois, ils tiraient un homme de son ikyak et l'emmenaient avec eux dans la glace. Oiseau Gris affirmait avoir vu à plusieurs reprises la forme obscure d'un homme gelé dans le cœur d'un tel fleuve.
    Parfois, la glace faisait comme une falaise, blanche sous l'eau, puis bleue lorsqu'elle surgissait vers le ciel, comme si la lumière lui donnait cette couleur. Au début, Kiin avait peur de regarder dans les profondeurs bleutées. Qu'éprouverait-elle si, comme son père, elle découvrait un homme gelé ? Et si les esprits décidaient de l'enfermer dans la glace ? Mais, songea-t-elle, serait-ce pis que d'être vendue comme épouse, de porter la malédiction à l'homme qui la choisirait ? Serait-ce si terrible de vivre dans le bleu immobile, à ne voir que le ciel et la mer, la mouette et la loutre, à entendre les seuls bruits de l'eau, la glace gronder et craquer?
    Et si elle portait vraiment l'enfant de Qakan, il serait gelé en elle, incapable de faire du mal.
    Kiin attrapa un autre poisson qu'elle suspendit à côté du premier.
    — J'ai pris assez de nourriture pour notre voyage, marmonna Qakan. Mais tu nous as ralentis. Si tu voulais pagayer, nous arriverions plus vite.
    — Je vais pa-pagayer, répondit-elle en croisant le regard de son frère.
    Il lui cracha à la figure une bouchée de poisson.
    — Oui, pour rentrer à l'île Tugix, lança-t-il.
    Kiin baissa la tête et soupira.
    — N-non, fit-elle d'une voix volontairement faible et tremblante.

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