Ma soeur la lune
jour. L'énorme carcasse gisait sur la plage, la ligne du baleinier encore fichée dans sa lèvre supérieure. Déjà, les hommes avaient commencé d'ouvrir la baleine, dévoilant l'épaisse couche blanche de graisse sous la peau sombre.
Samig détourna un instant les yeux, incapable de supporter la vue du dépeçage, car on tranchait dans ce qu'il avait été.
Dans les jours qui suivirent, on vit cinq baleines, on en prit trois. Le sang rendait la plage glissante et les nouveaux puits de stockage étaient remplis de viande; on en creusa d'autres.
— On n'a jamais attrapé autant de baleines, remarqua le grand-père de Samig tandis qu'en compagnie de son petit-fils il observait les femmes s'affairer autour des foyers de cuisson. J'ai parlé à Roc Dur. Il est d'accord pour que tu sois le chasseur la prochaine fois.
Samig tourna vers son grand-père des yeux ahuris.
— Roc Dur a dit cela ?
Le vieil homme sourit.
— Oui. Il a aussi dit qu'on ne verrait plus rien de l'été. Il l'a su lors de son dernier jeûne.
Samig rit. Au cours du dernier jeûne, Samig avait demandé à accompagner les baleiniers qui poursuivaient la baleine une fois harponnée. Nombreuses Baleines avait refusé, mais Roc Dur était intervenu en rappelant que son propre pouvoir avait toujours ramené la baleine auparavant ; cette fois ce ne serait pas différent. Il était inutile de faire jeûner Samig. Samig avait donc été autorisé à partir.
Les trois poursuivants avaient navigué pendant deux jours dans le sillage de l'animal. Samig était dans le deuxième ikyak et il était demeuré en retrait, comme le lui avait enseigné son grand-père, attendant que Phoque Mourant, qui occupait le premier ikyak, repère la baleine.
— Elle décrira des cercles, avait expliqué Nombreuses Baleines à Samig. Et elle poussera de petits cris d'enfant, un peu comme « Ouh... ouh ». Tu dois apprendre à guetter ce bruit, sinon tu penseras que ce n'est que le grondement de la mer qui s'adresse aux montagnes.
Soudain, Samig avait vu la bosse noire de la queue de la baleine, et il observait Phoque Mourant qui manœuvrait sa pagaie d'une main, l'autre posée sur son propulseur, le bras légèrement relevé. Le harpon était attaché à l'ikyak au moyen d'un long enroulement de varech tressé, et Samig s'aperçut que Phoque Mourant n'avait pas noué la pointe de pierre à la hampe, l'arme émoussée permettant de savoir si l'animal était toujours vivant.
Après avoir observé la baleine un moment, Phoque Mourant leva le bras au-dessus de la tête et le tira en arrière jusqu'à la poupe ; puis il projeta sa lance. Au moment de l'impact, l'arme émoussée frappa la baleine et tomba dans l'eau ; Phoque Mourant ramena alors la lance en enroulant la ligne au fur et à mesure.
La baleine ne bougea pas.
Phoque Mourant ajusta la hampe à son propulseur et recommença la manœuvre. Cette fois encore, la baleine ne bougea pas.
— Elle est morte ! s'écria Phoque Mourant.
Samig rapprocha son ikyak, observant Phoque
Mourant trancher la lèvre de l'animal et passer une corde de varech tressé épaisse comme le poing de Samig. Phoque Mourant maintint la corde dans sa main et la lança à Samig. Samig tourna son ikyak en direction du rivage et attacha la ligne à sa proue, puis lança le reste au troisième baleinier, Oiseau Crochu.
Ce dernier rata la ligne, qui glissa dans la mer le long du flanc de l'ikyak. En se penchant pour la saisir, Oiseau Crochu fit vaciller son embarcation, qui chavira. Samig réprima un sourire et tira la ligne à lui, l'enroulant afin de la lancer de nouveau, attendant qu'Oiseau Crochu se soit redressé, son chiga-dax trempé, l'eau perlant sur ses joues. Phoque Mourant ne rit pas, mais Samig avait vu le sourire sur son visage quand Oiseau Crochu était dans l'eau.
Samig lança une deuxième fois la ligne à Oiseau Crochu, qui l'attrapa d'une main, maîtrisant son ikyak de la lame de sa pagaie. Ils tirèrent ensemble, hissant la baleine sur l'eau, chantant tout en pagayant, honneur à la baleine, honneur au chasseur, honneur aux Chasseurs de Baleines. Qui pourrait égaler leur habileté? Qui pourrait égaler leur bravoure ?
Quand ils eurent atteint le rivage, Nombreux Bébés ramena Roc Dur de sa hutte. Les jours sans nourriture ni eau avaient émacié son visage et le faisaient ressembler à un vieillard. Samig se demanda alors si lui aussi avait paru vieux et faible après les jours passés dans l'abri; si, pour
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