Ma soeur la lune
force et en taille, assis sur son rocher, son chigadax bordé de plumes et ses grandes bottes de boyau de phoque luisant de rose et d'or dans la lumière du long soleil couchant.
Un bâton sculpté à la main, il chanta une mélopée dont Samig ne comprenait pas les paroles.
Nombreuses Baleines tendit un paquet à Samig, un tablier de cérémonie en peau de loutre, et un chigadax en peau de langue de baleine.
— Debout!
Les autres chasseurs qui se tenaient près de Nombreuses Baleines prirent le tablier des mains de Samig et le glissèrent autour de sa taille tout en le débarrassant de son tablier d'herbe. Puis, quelqu'un lui enfila le chigadax.
— Il y a aussi les bottes, dit Nombreuses Baleines en se penchant en avant, ses yeux brillants, même sous l'ombre de son chapeau de bois.
Deux hommes aidèrent Nombreuses Baleines à quitter son rocher, et celui qui portait un masque lui tendit quelque chose enveloppé dans une peau de lion de mer. La forme était évidente, et Samig retint son souffle tandis que Nombreuses Baleines dépliait la peau pour révéler un chapeau de bois scintillant. On l'avait peint de rayures rouges et noires. Nulle moustache de lion de mer ne s'inclinait sur la couture recouverte d'ivoire. On donnait celles-ci, lui avait expliqué son grand-père, chaque fois que le chasseur attrapait une baleine. Le chapeau de Nombreuses Baleines comprenait plus de moustaches que les autres, même celui de Roc Dur.
Nombreuses Baleines maintenait le nouveau chapeau au-dessus de la tête de Samig, chantant encore des mots inconnus. Puis, se penchant davantage sur Samig, il annonça :
— Le noir pour la baleine. Le rouge pour le sang.
Il marqua une pause et embrassa du regard les chasseurs rassemblés autour d'eux. Il posa le chapeau sur la tête de Samig et effleura les tatouages sur son menton :
— Tu es Tueur de Baleines, un homme du peuple des Chasseurs de Baleines.
Samig toucha sa coiffe. Le bois était frais et doux sous ses doigts. Samig, Tueur de Baleines, pensa-t-il, un homme de deux peuples. Samig. Tueur de Baleines. Et, au milieu de sa joie, il éprouva une brusque tristesse ; le souvenir lui revint que ce qu'il faisait, il le faisait pour les Premiers Hommes, qu'il obéissait à Kayugh. Alors, Samig posa de nouveau les yeux sur Nombreuses Baleines, son véritable grand-père, et il se tint bien droit, épaules rejetées en arrière.
Personne ne parlait. Samig entendait son cœur cogner dans sa poitrine. À ce moment, plus fort que le battement de son cœur, Samig perçut le battement sourd du signal du guetteur. Les hommes se retournèrent, et Samig vit un jeune garçon courir dans leur direction.
— Une baleine ! Une baleine !
L'homme masqué arracha aussitôt son masque. C'était bien Roc Dur, l'alananasika. Il ne portait sous son masque que son tablier et, comme il se précipitait vers son ikyak, sa femme, Nombreux Bébés, courut vers leur ulaq lui chercher son chigadax. Tandis qu'il s'habillait, le garçon s'approcha de lui, sa voix ténue parvenant aux oreilles de Samig :
— Elle est là, près du rivage.
Samig regarda la mer. Même dans le gris de ce début de nuit, il apercevait la baleine; la brume de son souffle se détachait, blanche, contre la mer. Roc Dur grimpa dans son ikyak et, à rapides coups de pagaie, envoya la petite embarcation dans les vagues. Samig ne distinguait plus la baleine, toutefois, il observa Roc Dur jusqu'à ce que l'ikyak ne soit plus qu'un petit point obscur.
Samig crut voir un bras se lever, une lance voler, mais il n'était pas sûr; il décida donc de retourner à Nombreuses Baleines.
Oiseau Crochu, le jeune homme qui avait le même nombre d'étés que Samig, et qui avait ri quand Samig prenait ses premières leçons de chasse à la baleine, le regarda. Remarquant le battement accéléré des veines de son cou, ses poings serrés, Samig comprit que Roc Dur avait choisi de s'attaquer à la baleine sans permettre à l'un des nouveaux chasseurs d'acquérir un peu d'expérience et peut-être l'honneur de la réussite. Mais Roc Dur était alana-nasika ; qui pouvait discuter ses décisions ?
Nombreuses Baleines appela Samig et posa ses mains sur ses épaules.
— Tueur de Baleines, dit-il, tu as reçu un immense honneur. La baleine a reconnu ta qualité d'homme. Tu seras un grand chasseur.
Alors, comme si un esprit l'animait, Samig tourna les yeux vers Oiseau Crochu. Ses lèvres formaient une moue, ses dents étaient serrées, et
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