Ma soeur la lune
tranquilles.
Les paroles de Qakan emplirent Kiin de colère, mais elle se tut. Il l'agaçait volontairement, comme toujours. Qakan ne semblait heureux que lorsqu'il rendait les autres malheureux.
Ils conduisirent l'ik vers la plage et Kiin avisa de nombreux hommes debout près du feu. Les trois chasseurs Morses tirèrent leur barque à terre et Kiin perçut l'excitation de leurs voix tandis qu'ils désignaient l'ik. Une voix s'éleva au-dessus des autres, celle du père. Qakan s'esclaffa :
— Il dit qu'un riche marchand est arrivé, déclara Qakan en riant de plus belle. Que ce marchand a une belle femme à vendre.
Une clameur monta. Kiin eut l'estomac noué.
— Tu me rapporteras un bon prix, commenta Qakan. On les dirait en manque d'épouses.
L'ik était près du rivage, mais Kiin se sentait incapable de regarder les hommes qui attendaient. Au lieu de quoi, elle sauta du bateau et le guida en direction du rivage tandis que Qakan pagayait. Trois ou quatre Hommes Morses ôtèrent leurs jambières de fourrure et entrèrent dans l'eau et la glace. Deux s'emparèrent de la proue; le troisième souleva Kiin pour la porter sur la plage.
Ses bras étaient durs et épais autour du ventre de Kiin ; le cœur de la jeune femme s'emballa à lui couper le souffle. C'était un homme immense, beaucoup plus grand que les autres. Son visage n'était pas peint mais il portait un labret à travers chaque joue. Il la hissa sur son épaule gauche. Kiin s'agrippait au capuchon de son parka et regarda les hommes autour d'elle. Dans l'obscurité, elle ne voyait qu'une chose : tous souriaient d'un grand sourire qui dévoilait leurs dents blanches.
L'homme qui la portait cria quelque chose aux autres, puis se mit à danser. Kiin bondissait à chaque pas, regrettant de ne plus être un enfant capable de hurler et de pleurer pour qu'on la repose.
Les Hommes Morses les entouraient maintenant et dansaient aussi. Certains avaient enlevé leur parka et l'un d'eux, qui avait aidé à tirer l'ik, dansait sans parka ni jambières, protégé d'un simple tablier.
L'homme qui portait Kiin chantait et elle s'accrocha plus fort à son parka, se penchant pour entourer son cou de ses bras. Alors il cria quelque chose à son oreille, s'adressant à elle ou aux autres, Kiin n'aurait su dire ; en tout cas, le bruit et les rebonds commençaient à lui donner la nausée. Elle chercha Qakan parmi les hommes et l'aperçut enfin appuyé contre son ik, tout sourire.
— Qakan, appela-t-elle, Qakan, j'ai-j'ai mal au cœur. Dis-leur de me reposer.
— Ris, lui cria-t-il. Ris ou ils ne voudront pas de toi. Les Hommes Morses aiment les femmes qui rient.
Kiin serra les dents pour s'empêcher de vomir. Un cri lent et plaintif monta de l'estomac de Kiin jusqu'à sa gorge. Soudain, l'homme s'arrêta, la souleva de son épaule et la posa à terre.
Les hommes interrompirent leur danse mais des ombres orangées émanant du feu s'enroulèrent autour d'eux, si bien qu'ils donnaient l'impression de poursuivre leur évolution. L'homme appela Qakan par-dessus son épaule.
Qakan se dirigea vers le centre du cercle.
— Femme stupide, dit-il à Kiin sans cesser de sourire aux hommes tandis qu'il tapotait l'épaule de Kiin et caressait son suk.
Pendant qu'il parlait, Kiin scrutait les visages des chasseurs Morses. Ils étaient beaux et grands. Presque tous avaient les cheveux longs. L'un d'eux les portait par-dessus sa capuche jusqu'au milieu de son dos. Certains avaient le visage peint, mais la plupart, non. L'un arborait des traits noirs sur le menton comme les tatouages des Chasseurs de Baleines et, soudain, une image du visage de Samig, marqué de tatouages, surgit aux yeux de Kiin et, avec cette image, un sentiment d'impuissance, la certitude que le séjour de Samig chez les Chasseurs de Baleines le changerait terriblement. Et 1 eloigne-ment, l'isolement.
Qakan parlait toujours. Les hommes étaient penchés en avant, soufflant parfois un mot, Qakan se corrigeant avec un petit rire teinté d'agacement. Finalement, il vint derrière Kiin, lui tapota l'épaule et, d'un geste brusque, souleva son suk.
Kiin réprima un cri et essaya de se libérer, mais ses bras étaient coincés dans ses manches et sa tête enfouie dans le suk. Il lui arracha son vêtement. Kiin était là, debout et tremblante, vêtue de son seul tablier. Elle serra ses bras autour de ses seins nus tandis que Qakan jetait le suk à l'homme le plus proche. Il lui dit quelque chose et l'homme
Weitere Kostenlose Bücher