Madame Catherine
tout de suite que ses avances n’étaient pas sans effet. Il s’en réjouit intérieurement : infiltrer les milieux proches des Châtillon n’entrait-il pas dans sa mission ?
Manoir de Coisay.
Simon de Coisay comptait mettre à profit l’absence de son frère pour se rapprocher du « soldat errant » et, si possible, en apprendre plus long sur lui. Un tel projet n’allait pas de soi ; en effet, après le départ de Gautier pour Écouen, Godefroy du Barry se fit insaisissable. Il passait de très longs moments dans sa chambre, à lire la Bible, disait-il, ou bien à jouer aux dames avec un de ses valets. Il trouvait toutes les excuses pour éviter la table de Simon et la seule fois où celui-ci, dans une conversation fortuite, s’était aventuré au-delà des banalités, l’entretien avait tourné court.
Heureusement, le hasard – ou d’autres forces – devait accomplir ce dont le calcul s’était avéré incapable.
Un soir que Simon parcourait à cheval les bois environnants, il aperçut, dans une anse de l’étang des Mousseaux, un baigneur qui, quoique seul, lui parut, d’aussi loin qu’il le vit, s’amuser comme s’amusent les enfants. Le cavalier mit pied à terre, attacha sa monture au premier arbre et, de buisson en fourré, se rapprocha pour mieux voir...
Dans le rôle du triton solitaire, il avait bien sûr reconnu son hôte.
Le baigneur, s’ébrouant comme un chien au sortir de l’eau, vint s’allonger mollement dans l’herbe, à quatre pas du voyeur. Se croyant seul, il n’avait pas pris la peine de se rhabiller, et reposait négligemment sur le dos, dans la lumière ambrée, comme Adam innocent dans l’Éden. Il poussa plusieurs soupirs de contentement, ferma les yeux, sourit aux anges. Dormait-il ? Son souffle ondulant se fit bientôt plus régulier.
Simon, comme envoûté par le spectacle, finit par sortir du fourré. Il caressa des yeux cette anatomie offerte, alanguie, jusqu’à l’intime : cette plante de pied à peine ridée, cet intérieur de cuisse un peu gras, les poils châtains de cette aisselle... Un tel examen le confortait dans le sentiment que ce gentilhomme était la vivante réplique du dieu Mars. Il s’accroupit auprès de la statue de chair, irisée de gouttelettes dorées ; il approcha son visage du sien. Tout près... Comme s’il avait voulu s’approprier son souffle...
Seulement, le baigneur ne dormait pas !
Bondissant tout à coup comme un fauve, il surprit l’intrus qui émit un cri de surprise. D’un geste sûr et vif, il lui avait saisi le poignet et le maintenait ferme – afin, contre toute attente, de le mener jusqu’à son flanc.
Simon respirait fort. Sa main, maniée contre son gré, passa sans trop résister sur le ventre dur ; elle devina les côtes sous la peau soyeuse, palpa la fermeté de la poitrine, s’attardant au passage aux pointes des seins. Sa paume se laissa conduire – toujours sous emprise – vers des régions plus secrètes. Ses doigts finirent par abuser de La Forest qui, ronronnant d’aise, de sa main restée libre, empoignait la nuque de Simon et guidait sa bouche vers ses lèvres, sa langue vers son âme.
Alors seulement Mars lâcha prise et, les deux paumes vers le ciel, se laissa posséder, les yeux à la renverse, le coeur déchaîné. Longuement, délicieusement, Simon savoura chaque phase de l’assaut ; et sous la voûte qui se peuplait d’étoiles, ses sens bridés par la vie renouèrent, aux franges de la nuit, avec une ivresse adolescente.
— Mais qui es-tu ? demanda Simon au dieu comblé, un long moment plus tard.
— Pose-moi tes questions...
— D’abord ton âge.
— Trente-deux ans.
« Quinze de moins que moi », songea Simon.
— Ton vrai nom.
— Tu connais mon vrai nom.
— La raison... Comment dire ?
— La raison de mon séjour au cachot ?
Il soupira lourdement.
— J’ai été accusé d’avoir frappé de fausses pièces. Un tribunal de Dijon m’a condamné pour cela, sur le témoignage archifaux d’un ennemi de ma famille. Crois-moi, l’injustice que l’on subit est la pire épreuve en ce monde. Lorsque l’on m’a enfin élargi, j’ai pris le chemin de Genève, où j’ai pu rencontrer Jean Calvin...
— Je voulais seulement te demander la raison... de ta présence à Coisay !
— Vraiment ?
La Forest rit doucement.
— J’ai besoin de ton frère. Nous avons tous besoin de lui – je veux dire : nous qui suivons Calvin.
Un
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