Madame Catherine
d’explorer la douce fraîcheur, la splendeur encore vierge de leurs corps si jeunes.
Les doigts du garçon se firent très audacieux, la bouche de la fille osa ce qu’elle n’eût même pas imaginé une heure plus tôt. Ils allaient s’accoupler furieusement, emportés l’un et l’autre loin de Coisay, loin du royaume et même de ce monde, quand le grincement de la porte les figea soudain dans la posture la plus inconfortable. La voix de Nanon, qui se rapprochait, glaça les amants. Ils firent bien attention à ne plus faire bouger la tenture. La domestique semblait donner des ordres pour le décor des tables.
Françoise ferma les yeux, terrorisée. Mais en même temps, les tout petits baisers, si doux, dont Vincent lui tamponnait la tempe la rassuraient d’une certaine manière ; elle se disait que, si la mort avait dû la prendre en cet instant, elle n’aurait rien eu à redire...
— Attends, attends ! grommelait Nanon, sans doute à l’attention d’une servante. Comme ça, tu vas tomber, ma fille ! Attends : il doit y avoir un escabeau derrière cette tapisserie.
Les ongles de Françoise s’enfoncèrent dans la fesse de Vincent, jusqu’au sang. Il grimaça et lui décocha un regard noir qu’elle adora plus que tout. Déjà Nanon écartait la bordure d’étoffe. Sa réaction, quand elle découvrit, enlacés, transis, sa petite Françoise et ce diable de Vincent, fut un modèle de sang-froid. Elle les observa une seconde, se signa rapidement, se saisit de l’escabeau qu’elle était venue chercher, puis ressortit comme si de rien n’était.
— Il y a bien du désordre, là derrière, lâcha-t-elle seulement.
Sur quoi elle vaqua à ses tâches... Jamais, à personne, elle ne devait révéler ce qu’elle avait vu ce jour-là. Même sur son lit de mort.
Ainsi, la grande imprudence des jeunes amants n’eut-elle aucune conséquence. Par la suite, ils prirent des précautions inouïes, et d’autant plus que Françoise, tiraillée entre une passion extrême et son éducation puritaine, vivait assez mal ces amours clandestines.
Un soir, elle prit le risque de tout révéler à son oncle. Simon l’écouta, tout en préparant des lignes pour pêcher la carpe.
— Si tu crois que je n’avais pas compris votre petit manège, confia-t-il à sa nièce d’un air malicieux.
— Sommes-nous donc si peu discrets ?
— Le grand amour, ma chérie, n’est jamais discret. Il a tant de voix, tant de langues pour s’exprimer !
— Mais, mon père...
— Pour lui, c’est différent. Il est un père, autant dire un aveugle en puissance ! Tu pourrais minauder avec le petit jusque sous ses yeux, qu’il n’y verrait que du feu.
Françoise supplia son oncle de lui donner un conseil sur la marche à suivre. Devait-elle parler à Gautier ? Et de quelle manière, à quel moment ?
— Il te faut lui parler, Françoise ; c’est la seule chose à faire. Sinon tu seras malheureuse, et de plus en plus... Mais attention : cela comporte des risques. Tu dois savoir à quoi tu t’exposes. Je serais toi, j’attendrais un moment ; si tu veux, du reste, je peux tâter le terrain...
— Non, répondit la jeune fille. S’il convient de libérer ma conscience, que ce soit maintenant ! Je verrai mon père dès ce soir.
— Tu as peut-être raison...
Bien sûr, elle avait tort. Gautier, surpris, choqué par les révélations de sa fille, explosa d’une colère terrible, incontrôlée. Il se mit à tirer Françoise par les cheveux, à renverser des meubles, à chercher Caboche dans toute la maison, hurlant qu’il le tuerait de ses propres mains.
Et quand le jeune homme, ayant laissé passer la nuit, se présenta le lendemain, courageusement, pour présenter ses humbles excuses et réclamer la main de celle qu’il aimait, ce fut pour s’entendre traiter de la pire manière, comme le dernier des vandales.
— Sors de ma maison, ordure ! lui intima Gautier de Coisay d’une voix hachée par la haine. Et surtout, surtout prends bien garde, à l’avenir, d’éviter mon chemin ; je serais obligé de t’écraser comme un rat.
Le jeune homme, livide, défia un instant du regard celui qui détruisait son bonheur et sa vie. Puis il sortit sans ajouter un mot.
Châlons.
Sitôt que les effets du pourpre se furent estompés, la reine Catherine manifesta cet appétit de vivre qui, très souvent, s’empare des rescapés. Avant même d’être sur pied, elle se fit porter en litière
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