Madame Catherine
l’empêcha pas de vivre, croyait-elle, le plus beau jour de son existence.
La gelée blanche avait couvert les champs et les taillis, ce qui offrait au paysage une apparence virginale. Sur la route givrée, les sabots des chevaux résonnaient comme en pleine ville. C’est Vincent qui, le premier, aperçut le clocher d’Ourscamp, comme une épine prête à crever le ciel blanc.
— Nous y sommes presque ! lança-t-il d’un ton joyeux.
À ses côtés, Françoise soupira. En dépit du climat, elle aurait aimé que la route durât longtemps encore. Car à son terme, il y avait ce maudit monastère où son oncle avait résolu de venir s’enterrer.
— Cette fois, dit-elle d’une voix éteinte, le but est proche. Mais il est encore temps de renoncer...
— Françoise, ne fais donc pas l’enfant ! Nous en avons parlé cent fois... Ma décision est prise, mon petit, et je sais déjà qu’elle me rendra heureux.
— Après ce que l’Église nous a fait !
— Ce n’est pas l’Église en soi, que je viens servir ici. C’est d’abord Notre Seigneur, et puis ce sont les moines... Eux, sont bien étrangers aux folies de ce siècle.
Simon avait obtenu son admission, en tant que simple convers {34} , dans la communauté cistercienne d’Ourscamp, fondée un demi-millénaire plus tôt par Waleran de Baudemont. Le choix de cette abbaye ne devait rien au hasard : la volonté du postulant avait été de se rapprocher, le plus possible, de Noyon...
— Vous allez donc vous occuper de leurs chevaux ? demanda Vincent pour montrer qu’il s’intéressait à l’oncle de sa femme.
— Ils élèvent là pas moins de deux cents cavales, approuva Simon. Dans des écuries magnifiques, et les plus belles pâtures du royaume !
Françoise observait les volutes de vapeur qui s’échappaient des lèvres de son oncle, et se dit qu’elle aurait aimé pouvoir garder cette voix, la conserver dans quelque boîte, bien à l’abri, pour l’écouter aux heures tristes... Cet homme avait tellement compté pour elle, depuis son plus jeune âge ! Après son mariage, elle était restée vivre avec lui, au hameau de Saint-Pierre, laissant son mari vaquer à son service auprès de M. de Coligny. Bien sûr, elle avait un peu souffert de l’éloignement de Vincent – mais en contrepartie, quelle tranquillité ! Elle en voulait donc à Simon de rompre à présent ce fragile équilibre, et ce, pour se faire moine – ou convers, elle ne voyait aucune différence.
Elle amena sa mule au niveau de celle de son oncle.
— Vous allez me manquer..., murmura-t-elle, les yeux pleins de larmes.
— Tu viendras me voir, dit-il pour la rassurer. Pas trop souvent, tout de même...
Le tintement d’une cloche, étrangement net, les surprit comme un geôlier venant prendre livraison d’un captif, ils cheminèrent encore un moment en silence – un silence que le froid rendait oppressant. Quand ils parvinrent à hauteur du chemin d’Ourscamp, sur la gauche, Simon les pria de ne pas l’accompagner plus loin.
— Maintenant, il faut me quitter, dit-il en mettant pied-à-terre. Vous allez suivre cette route tout droit, jusqu’au Pont-l’Evêque ; vous trouverez là de quoi vous restaurer. Et je vous défends bien de passer me voir au retour !
— Nous vous laisserons tranquille, déclara Vincent.
Cette assurance exaspéra Françoise. Descendue de sa mule, elle vint embrasser son oncle avec effusion.
— Porte-toi bien, mon enfant, dit-il, fais-nous de beaux enfants !
Il la bénit d’un signe de croix sur le front.
— Que Dieu te garde !
— Dieu vous garde, mon oncle, articula Françoise.
Elle faisait de gros efforts pour ne pas éclater en sanglots.
— Cette barbe vous va très bien, mentit-elle.
— Mais elle est déjà blanche...
Simon leva la main vers Vincent, demeuré en selle.
— Adieu, petit ! Prends grand soin de ma Françoise !
— Priez pour nous ! répondit le jeune homme avec ce ton d’ironie qui rendait suspect le moindre de ses voeux.
Il avait déjà repris la route, et sa femme dut cravacher pour le rejoindre. Simon les regarda s’éloigner, le coeur serré ; il était heureux, sans doute, mais un bonheur infiniment triste. Il se remit en selle et prit le chemin de sa nouvelle demeure.
Château de Blois.
Gaspard de Coligny s’était levé tard, après une nuit réparatrice où il avait dormi comme une souche : le voyage depuis Bruxelles, effectué presque d’une
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