Madame Catherine
insigne – le raccompagna lui-même jusqu’à l’escalier. De retour dans son cabinet, il observa le connétable qui jouait près du feu avec un petit chien.
— Votre neveu est un grand homme, maréchal.
— Sire, il n’a fait que suivre votre exemple.
— Non, le vôtre, et vous le savez...
Montmorency affectait le triomphe modeste ; il fît aboyer le barbet. Le roi se rassit à sa table.
— Ainsi donc, relança-t-il, l’ex-empereur vous regarde comme le meilleur après lui !
— Je ne vois là qu’un dernier trait contre Votre Majesté.
— Non... Le vieux Charles a de l’expérience ; il sait jauger les hommes. Du reste, je ne suis pas loin de partager son avis.
Montmorency s’inclina ; le petit chien sautait à ses pieds.
— Vous-même, à son âge, serez sans équivalent dans l’Histoire.
— Trêve de flatteries ! Au reste, je n’atteindrai peut-être jamais cet âge... Lisez donc cela !
Henri tendit au connétable un pli arrivé de Rome le matin même {38} ; le fameux Luc Gauric, astrologue attitré du pape, y apportait un complément à une prédiction vieille de cinq ans.
Montmorency déplia la lettre et lut la traduction inscrite en marge. Gauric avertissait le roi de dangers planant sur sa tête : notamment Henri devait, vers sa quarante et unième année, se garder de tout duel, sous peine d’une blessure à la tête pouvant entraîner la cécité, voire la mort !
— Voyez, mon compère, quel genre de fin l’on m’annonce !
— Fadaises ! décréta Montmorency. Enfin, sire, voulez-vous croire à ces marauds qui ne sont que menteurs et bavards ? Non, croyez-moi : jetez donc cela au feu !
— Et pourquoi ? Ces gens-là disent quelquefois la vérité ! Je n’ai cure de mourir, de cette manière ou d’une autre.
— Enfin...
— Peut-être même que cette mort-là me conviendrait. Pourvu que je parte de la main d’un brave, et que toute la gloire m’en revienne !
— Sauf que je ne vois pas bien dans quel genre de duel Votre Majesté pourrait risquer sa vie...
— Moi non plus... Mais qui sait ?
Le connétable prit le chien dans ses bras et le caressa rudement. Au vrai, il s’impatientait de cet échange, et d’autant plus qu’il avait à entretenir le roi d’un tout autre sujet. Profitant de l’état de rêverie où ses réflexions sur la mort avaient plongé Henri, le sanglier prit une autre coulée {39} .
— Ce qu’il y a de beau dans cette paix, lança-t-il, c’est que nos prisonniers vont retrouver leurs foyers...
— Vous allez revoir tous les vôtres, approuva le roi ; notamment votre fils aîné...
François de Montmorency avait été pris par les Impériaux lors du siège de Thérouanne, trois ans plus tôt.
— Vous savez, prévint Henri, que je lui réserve le gouvernement de Paris et de l’île-de-France.
— La bonté du roi est sans limites... Toutefois, ces grands bienfaits que vous nous prodiguez ne résoudront pas tout. Et au-delà de son état, c’est le destin personnel de ce garçon qui, je l’avoue, me préoccupe...
— Je vous comprends ; c’est le père qui parle.
— François a vingt-cinq ans, sire ; il vient de passer trois ans en captivité... Vous-même connaissez trop l’état de prisonnier {40} pour savoir qu’on n’en revient jamais indemne.
— Hélas !
Le connétable avait dû faire un geste malheureux, car le barbet, dans ses bras, se mit à japper violemment, cherchant à mordre. Il le laissa se réfugier sous un coffre.
— Mais d’où sortez-vous donc ce chien ? demanda enfin le roi.
— Il est à Madame Diane, dit l’autre de manière évasive ; elle me l’a confié tantôt...
Ainsi plaçait-il Diane de France, la fille légitimée du roi, au coeur de la conversation. Henri ne flaira pas le piège.
— Pauvre Diane ! soupira-t-il.
Il plaignait sa fille de la mort de son mari, Horace Farnèse, tombé au siège d’Hesdin, cinq mois et cinq jours seulement après leur mariage.
— Encore si jeune et déjà veuve, approuva le connétable. Quel âge a-t-elle, exactement ?
— Dix-huit ans, dit le roi, qui connaissait l’âge de tous ses enfants.
— Pour un peu, hasarda Montmorency, elle eût fait une épouse pour mon fils...
C’était aller loin dans l’audace que d’oser une telle ouverture. Diane de France n’était-elle pas de sang royal ? Seulement le connétable savait que le veuvage, en rajout de la bâtardise, était une traverse
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