Madame Catherine
sans une haine palpable. Une fracture profonde diviserait désormais les deux clans, aboutissant un jour au massacre de la Saint-Barthélemy... Dix-huit ans plus tard exactement.
Car le chapitre d’histoire qui, ce soir-là, au camp de Renty, venait de s’ouvrir par une âpre dispute, n’était rien d’autre que celui des guerres de Religion.
Chapitre V
Le sanglier
(Hiver 1556)
Un épisode diplomatique comme la paix de Vaucelles mériterait, à lui seul, un gros ouvrage. Une fois encore, il ne s’agit pas ici d’en faire ressortir tous les tenants et aboutissants, mais plutôt de le prendre pour toile de fond, pour contexte d’une action bien plus resserrée.
L’allusion aux Pardaillan n’est pas neutre ; quoique d’une autre veine, le roman-fleuve de Zévaco a pu m’inspirer une certaine façon de traiter mes personnages.
En Picardie.
Les très grandes peines, lorsqu’elles ne s’appuient sur aucune morale, sur aucune logique, ont parfois le pouvoir de libérer ceux qu’elles accablent de leurs attaches, et de leur offrir la seule grâce accessible en ce monde : une adhésion complète au présent. Ainsi le pauvre Simon, un temps désespéré par l’ignoble fin de son frère, avait-il trouvé, tout au fond de son chagrin, une issue vers la beauté des sources, la splendeur des arbres, la sublimité des chants d’oiseaux. De longs mois durant, il s’était accroché, comme à la plus piteuse relique, aux images ineffaçables du supplice : cette pendaison hideuse, ces flammes s’emparant du corps de Gautier... Et puis un beau matin de mai, comme un abcès qui viendrait à crever naturellement, il avait senti que cette obsession l’avait quitté, faisant en lui une place immense et neuve à l’intime félicité de vivre – brûlante comme un soleil de bonté. Alors il avait pleuré, longtemps, sans oser s’avouer d’abord que ses larmes étaient des larmes de joie.
Il occupait, humblement, l’ancienne masure de sa mère, le domaine de Coisay ayant été confisqué par la couronne aux termes de l’arrêt de justice. À la vérité, Simon avait quitté sans trop de regrets ce manoir empli des souvenirs saumâtres d’une enfance de bâtard... Ce n’était pas le cas de sa nièce. Car Françoise, infiniment attachée au cadre heureux de sa jeunesse, avait subi cette expulsion comme un arrachement. C’était, déplorait-elle, comme si on lui tuait son père pour la seconde fois.
Cependant l’orpheline était trop jeune pour s’abandonner à son abattement. Puissante consolation : quelques jours seulement après l’exécution, elle avait eu le choc de voir son Vincent reparaître. Terrible dilemme... Par fidélité aux voeux paternels, elle avait bien tenté de l’éconduire, priant même son oncle de chasser un prétendant que son père avait jugé indigne. Mais, en elle, le travail des sentiments avait sans peine emporté cette digue de beaux principes ; et Nanon fut sommée, très vite, d’aller lui retrouver l’amour de sa vie...
Ce ne fut pas difficile : Simon, devançant le revirement de sa nièce, avait logé Vincent Caboche dans la grange attenante ! Il n’avait jamais partagé les préjugés nobiliaires de son frère et, contrairement à lui, aimait beaucoup ce joli garçon à l’oeil irisé d’impertinence. Mieux : il le sentait capable de faire le bonheur de Françoise. Comment Simon, si droit, si pur, aurait-il pu imaginer que dans ce fier secrétaire aux cheveux d’enfant se cachait le véritable délateur de Gautier, un scélérat qui n’avait pas hésité à trahir le père pour reprendre la fille ?
Simon de Coisay conduisit donc sa nièce au pasteur, comme il eût conduit l’agnelle au loup travesti. Jamais il n’en conçut le moindre scrupule. Quant à Françoise, toute au bonheur de convoler enfin librement, elle ne fit pas un instant le rapprochement entre le renvoi brutal de son jeune amant et la mystérieuse délation qui avait jeté son père au bûcher.
Par grâce spéciale, la noce – bien modeste au demeurant – put avoir lieu au manoir de Coisay, dont le nouveau détenteur, le maréchal de Saint-André, avait pourtant planifié la destruction... Il projetait d’y faire élever des bergeries et porcheries, autrement rentables pour son compte. Aussi bien, en dansant gaiement avec son petit mari, Françoise donnait-elle ce jour-là le bras, tout à la fois à l’assassin de son père et au fossoyeur de sa maison. Cela ne
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