Madame Catherine
ses fibres, la firent vomir jusqu’à l’évanouissement.
Mais la jeune femme eut le courage inouï de relire cette lettre affreuse.
Puis, pendant un temps infini, elle demeura immobile, le papier pendant au bout de ses doigts comme une peau morte. Enfin, tandis qu’un soleil neutre grimpait à l’horizon, elle revint à elle, passa un manteau sur ses épaules, des mules à ses pieds. Elle descendit l’escalier. Elle sortit par la porte de l’office, traversa la cour, gagna les bords de la Marne. Elle demeura tout un moment sans bouger dans le vent froid, fixant d’un regard vide les flots gris comme des écailles, charriant de lourds branchages.
Elle allait se donner à eux quand elle se sentit ceinturer par des bras potelés, et happée en arrière. Elle tomba sur la berge, toujours cramponnée par Nanon qui pleurait comme une enfant. Françoise aurait voulu l’embrasser, la rassurer ; seulement la brave femme la tenait ferme et ne paraissait pas prête à desserrer son étreinte.
Paris, hôtel neuf de Montmorency.
C’est dans son hôtel neuf de la rue Sainte-Avoye, que le connétable accueillit à grand bruit son fils aîné, enfin restitué, enfin libre ! François de Montmorency, pendant ses trois années de captivité, avait pris un peu d’embonpoint et perdu l’étincelle qui, jadis, animait son regard sombre ; mais il demeurait un jeune et bel homme de vingt-cinq ans, à qui l’existence semblait vouloir sourire. Dès sa libération, le roi l’avait fait, par amitié pour son père, gouverneur de Paris et de l’Île-de-France – avec le collier de l’ordre de Saint-Michel. Il hériterait un jour de propriétés opulentes et des revenus afférents. Quant à son mariage, lui seul en France ignorait encore l’étonnant parti qu’on lui destinait.
— Mon fils, redit le connétable en serrant François sur son coeur, je vis ce jour comme le couronnement d’une carrière déjà trop longue. Si Dieu veut, je ne tarderai pas à suivre l’exemple de Charles Quint, et à te confier les rênes de notre Maison.
— Laissez-lui le temps de se remettre, le malheureux ! lança Madeleine de Montmorency en s’agrippant au bras de son fils retrouvé. Viens, François, je vais te montrer la salle du banquet.
— Eh bien, c’est cela, banquetons, banquetons ! approuva le connétable, tout attendri.
Pour ce qu’il regardait comme une apothéose, Anne de Montmorency s’était assuré le concours des meilleurs pâtissiers et rôtisseurs, du plus parfait maître d’hôtel et de musiciens réputés. Mieux : sous un prétexte oiseux, il avait eu l’aplomb de convier celle qui était devenue son adversaire à la Cour : la duchesse de Valentinois en personne.
— Tout est si beau, ici, avait minaudé Madame en descendant de litière ; on croirait un décor de noces...
— C’est que nous allons célébrer, en quelque sorte, des fiançailles, avait confirmé le connétable.
En effet, l’invitée d’honneur de ces fêtes était la jeune Diane de France, fille légitimée du roi et filleule de l’autre Diane... Son maintien strict et ses voiles de veuve la faisaient paraître un peu plus que ses dix-huit ans, mais elle était avenante, et bien satisfaite des projets discrets dont on l’avait avertie. Elle fut assise à table à la droite de François, de sorte qu’il s’occupa d’elle avec courtoisie.
On était encore en carême, et le festin, loin d’en souffrir, n’en fut que plus étourdissant. On vit ainsi défiler quantité de poissons de rivière, mais aussi de mer – ainsi qu’un dauphin tout entier – et des coquillages, des escargots accommodés de trois manières, des laitages de toutes sortes, des légumes et surtout des fruits – en pâte, en gelée, en croûte, en crème – à profusion.
— Eh bien, François, demanda le connétable à son fils, quand les buffets furent garnis du dernier service. Que te semble-t-il de ta voisine ?
— Elle est charmante, consentit le jeune homme. Tout à fait charmante...
Le père se rengorgea. La musique et les bavardages couvraient leurs propos, autorisant une conversation discrète, à l’oreille.
— Pour une dame de sang royal, n’est-ce pas qu’elle est de bonne compagnie ?
— Certes, approuva François, mais... Puis-je vous demander la raison de cette insistance ?
Le connétable fut pris, soudain, d’une hilarité sans doute facilitée par les vins fins...
— C’est que... Vois-tu, le roi
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