Madame Catherine
l’expansion de son remords qui le détournait ainsi de sa femme.
Les craintes de Vincent n’étaient pas vaines ; dans les jours qui suivirent, Françoise se sentit prise de violentes douleurs à l’abdomen. Elle grimaçait, suait, se tordait parfois sur ce lit qu’elle n’avait plus le droit de quitter. Et la bonne Nanon, tout éplorée à ses côtés, ne pouvait que déplorer l’état très alarmant de sa maîtresse.
Le jeune époux, livide, plus échevelé que jamais, passait son temps entre le chevet de sa femme, l’office de ses frères, tabellions en ville, et la maison du pasteur. À ce dernier, Vincent eut la tentation, plusieurs fois, de confier son trop lourd secret. Mais il craignait que ce vieil ami de la famille n’en laissât deviner quelque chose à ses proches... Alors, trahissant sa propre foi, il se rendit dans la paroisse catholique la plus éloignée du bourg, et pénétra dans un confessionnal.
— Mon père, articula-t-il avec soulagement dans la pénombre, j’ai dénoncé moi-même mon beau-père, un fervent réformé, et c’est ce qui l’a conduit au bûcher.
— Je ne vois là aucun péché, mon fils. Vous avez agi selon les bons préceptes de Notre Sainte Mère l’Église...
— J’ai besoin de votre pardon ! Absolvez-moi, mon père, absolvez-moi !
— Mais puisque vous n’avez commis nul péché...
Et le volet du confesseur se referma sur ces mots.
Après une semaine de longs tourments, Françoise se sentit si mal que l’on craignit pour sa vie. Nanon, agenouillée au pied du lit, mêlait ses prières à celles, ferventes, de Vincent. La meilleure sage-femme de Meaux se déplaça chez les Caboche en dépit de leur réputation de « religionnaires » et, prescrivant plusieurs sortes de tisanes, serra les mains du mari dans les siennes – trop précoces condoléances.
La fausse couche intervint le lendemain, affreuse, inexorable. Françoise crut en mourir de chagrin. Quant à Vincent, il prit cet arrêt de Dieu comme une punition personnelle, s’effondra de douleur, monta se flageller au grenier... Son attitude atteignit de tels excès qu’elle inquiéta tout le monde, et poussa la famille à exiger une explication.
— Je n’ai rien à vous dire, grogna le jeune homme accablé. C’est là une affaire entre Dieu et moi.
Un matin, Françoise se réveilla plus tôt que de coutume. Le vent soufflait sur la maison... Il faisait encore nuit. Elle sentit un vide auprès d’elle, tâta rapidement la couche, comprit que son mari n’était plus là. Quelle idée folle l’avait encore pris ?
Elle allait partir à sa recherche quand sa main rencontra un morceau de papier. Françoise s’en saisit : il s’agissait d’une lettre. Elle se leva, inquiète, ralluma une bougie au foyer, approcha la missive de la flamme. Ce qu’elle lut alors la figea de stupeur.
« Ma Françoise,
« L’amour que je te porte est si grand qu’après m’avoir poussé au crime, il me donne encore la force de te le confesser. Puis-je espérer qu’un jour, passées la peine et la colère, tu pourras comprendre mon geste ?Je crains que non. Je sais que non.
« Françoise, les gens qui ont suivi ton père et l’ont arrêté agissaient sur délation. Or, je suis, moi ton mari, l’auteur de cet acte innommable. Te dire que je n’ai fait cela que dans l’espoir de t’épouser aggrave sans doute mon cas plus qu’il ne l’excuse...
« Ces derniers temps, mon remords était devenu tel que je ne pouvais même plus te regarder en face. Et la mort de notre enfant m’a confirmé la colère des deux.
« M’éloigner de toi, te perdre à jamais, voilà une sanction terrible et inhumaine. Mais je sais que je la mérite.
« Montre cette lettre à mes frères. Ils te donneront ma part de l’héritage de mon père. Et puis essaie de m’oublier, moi qui ne penserai jamais qu’à toi. Ou bien, prie pour moi comme je le ferais pour nous, si mes prières avaient encore la moindre valeur. »
La lettre était signée Vincent.
Françoise, défigurée par l’horreur, eut le sentiment que son esprit, soudain détaché de son corps, se promenait dans la pièce et observait son propre saisissement. Vincent, son cher Vincent, était donc celui par qui son père avait péri ? Et elle avait désobéi, par-delà le tombeau, pour accueillir ce traître meurtrier, et le choisir, et l’épouser ! Et lui donner un enfant ! Le dégoût, la répulsion qu’elle éprouvait de toutes
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