Madame Catherine
s’éveiller d’un rêve, demeura interdit un instant, puis lâcha le jeune homme et fit quelques pas dans la pièce avant de s’effondrer sur lui-même, comme un géant terrassé de l’intérieur. Il se mit à sangloter bruyamment, agenouillé sur le parquet. Jamais encore François n’avait vu son père dans un tel état ; il fit le geste de s’approcher mais, bouleversé par tant de drame, choisit de quitter discrètement le cabinet.
— À quoi bon tout cela ? gémissait, dans son dos, le connétable.
Quand François voulut sortir, il découvrit avec consternation que les invités, alertés par tant d’éclats, s’étaient rassemblés dans l’antichambre, et n’avaient rien perdu du terrible entretien.
Pendant deux semaines entières, le connétable demeura prostré dans sa chambre, comme étranger à tout. Il ne redevint lui-même, le temps d’une colère violente, qu’en apprenant que Damville, son deuxième fils, avait le front de soutenir son frère. L’amiral de Coligny vint le voir deux ou trois fois, et tenta de le secouer – en vain. Le roi lui-même, de retour à Paris, fit le déplacement, et tenta de raisonner son vieux compère.
— Sire, répétait Montmorency d’une voix mourante, dire que vous aviez tout donné à cet ingrat !
Les ennemis du connétable faisaient des gorges chaudes de ce drame familial, offert en pâture à la Cour comme à la Ville. Les Guises s’en amusaient plus que quiconque, mais ils conservèrent – en habitués du monde – la prudence de feindre la consternation. Mieux : le cardinal de Lorraine osa se présenter rue Sainte-Avoye pour offrir à son vieil ennemi le secours de son entremise.
Et contre toute attente, le connétable l’accepta.
— Réunissons au Louvre une commission d’évêques devant laquelle comparaîtront votre fils et cette Jeanne de Piennes, avait proposé le prélat. La commission assignera la demoiselle au couvent des Filles-Dieu, et forcera votre fils à se rendre lui-même, à Rome, sous bonne garde, afin d’y demander en personne au Saint-Père l’abolition de sa promesse.
Ainsi, tout rentrera dans l’ordre, et François pourra épouser la fille du roi !
— Vous croyez ? demanda piteusement le connétable.
Pour un peu, il aurait embrassé ce méchant archevêque de Reims {44} . Il était loin d’imaginer la version que ce prélat, le soir même, devait donner à ses frères : « La commission portera les démêlés des Montmorency sur la place publique, l’envoi au couvent de la jeune promise soulignera la dureté de leur ambition, et la capitulation forcée de l’héritier achèvera de les ridiculiser ! »
— Je vous suis reconnaissant de vos bonnes intentions, déclara pourtant le connétable au cardinal, en prenant congé de l’homme en rouge.
— C’est un tel bonheur de pouvoir enfin vous être utile, répondit M. de Lorraine.
Ils se quittèrent sur un petit signe de la main, bien chaleureux.
Paris, la « Petite Genève {45} ».
Le jeune pasteur prononça les paroles de Paul aux Thessaloniciens.
— Recevons la bénédiction de la part de Dieu : « Le seigneur de la paix vous donne lui-même la paix, en tout temps et de toute manière. » Amen.
Ainsi s’acheva l’office clandestin du dimanche. La petite assemblée se congratula un moment, puis elle se dispersa sans éclats, quittant par grappes l’auberge à l’enseigne du Vicomte, dans la rue des Marais {46} . Le soleil était brillant pour la saison et donnait à ce quartier aéré, peu bâti, des airs de campagne printanière.
Dans la cour de l’auberge, Françoise de Coisay n’en frissonnait pas moins sous sa pelisse fourrée ; son compagnon lui frictionna le dos et les épaules.
— Surtout, ne prends pas froid, dit-il. Tes bronches sont fragiles... Allons, viens !
Elle sourit de ces attentions quasi paternelles.
— Juste un moment, dit-elle en feignant d’attacher son chaperon. Leur conversation m’intéresse.
Elle désignait trois fidèles qui, dans un coin, dégustaient du vin chaud.
— Elle est toujours aussi belle, disait le plus âgé. Mais sa conduite est devenue irréprochable.
— Si le vieux roi avait vécu, elle aurait pu nous aider, dit un autre.
— Penses-tu ! La vie de Cour s’accommode mal des convertis !
Françoise ne perdait pas un mot de leur échange.
— Ils parlent de la duchesse d’Étampes, n’est-ce pas ? demanda-t-elle.
— Le plus simple est de leur poser
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