Madame Catherine

protestantisme français, publiée en 1894 par Noël Armand François Puaux. Il m’a semblé, en effet, qu’on ne pouvait mieux styliser qu’elle ne le fait, un événement aussi fort que le « tumulte » d’Amboise.

 
    Paris, faubourg Saint-Germain.
    L’avènement – à quinze ans – du petit roi François II fut aussi celui, consacré, de la famille de Lorraine. Oncles de la nouvelle reine Marie {62} , les Guises firent en effet main basse sur les charges et le Trésor, nommant partout leurs créatures, poussant partout leurs intérêts, jouant de la jeunesse d’un souverain malingre et même souffrant {63} . Seule la reine mère aurait pu essayer de tempérer cette omnipotence ; seulement Catherine de Médicis, maintenue dans l’ombre un quart de siècle durant, et par nature respectueuse des rapports de force, préféra s’allier aux puissants du jour et, par là, renforcer un peu plus leur empire.
    La révolte gronda, dès lors, contre ces « princes étrangers » qui avaient confisqué la couronne. Elle s’organisa surtout dans les milieux réformés, confrontés à un regain des persécutions ; dès Noël 1559, le conseiller Anne du Bourg, entre autres, avait péri sur le bûcher. L’on s’en émut beaucoup, tant dans le royaume qu’au-dehors. Ainsi naquit, en Suisse, le projet d’aller s’emparer des Guises, de réunir des états généraux propres à les juger, de rétablir le jeune roi dans ses pouvoirs et d’obtenir de lui des garanties et libertés pour les sujets protestants.
    À ce grand dessein, Jean Calvin refusa pourtant de consentir ; de tels procédés heurtaient son loyalisme foncier. Peut-être aurait-il passé outre, à la limite, si l’affaire avait été menée par le roi de Navarre ou, mieux, par son frère, Louis de Condé. Mais puisque ces princes du sang s’étaient réfutés, il lui paraissait aventureux de laisser agir un chef désigné par défaut en la personne de ce La Renaudie que tout le monde appelait La Forest... Aussi bien, pour appeler à lui un parti de gentilshommes insurgés, Godefroy dut-il se passer de la caution genevoise.
    Il n’en réunit pas moins quelque cinq cents hommes d’armes, venus surtout du Lyonnais, du Périgord, du Poitou, d’Anjou et de Bretagne, et même de Provence. Déguisés en marchands, tous avaient afflué à Nantes, incognito, à la faveur d’une foire et d’un procès. Ils y avaient élu un conseil de six membres autour de La Forest, et avaient fixé la conjuration au 10 mars.
    Godefroy, galvanisé par leur confiance, avait ensuite pris le chemin de Paris, afin d’y rencontrer le prince de Condé et de lui rendre compte de tout.
    — Vous semblez animé d’une haine ardente envers les Guises...
    — Monseigneur, j’ai pour cela plus de raisons que d’autres, argua Godefroy. Rappelez-vous comment ils ont garrotté mon cousin de Buy {64} , à Vincennes...
    Louis de Condé se gratta le lobe de l’oreille.
    — Je croyais savoir que vous deviez beaucoup au Balafré...
    Il se disait en effet qu’autrefois, le sieur de La Renaudie n’avait dû son élargissement des geôles dijonnaises qu’à l’intervention de François de Guise.
    — Monseigneur, si ces gens ont pu, jadis, faire de moi leur débiteur, tous les forfaits qu’ils accumulent aujourd’hui m’en ont exonéré.
    — Tout de même, je trouve singulière cette espèce d’acharnement.
    Godefroy demeura perplexe. Il était venu vers le chef naturel des Réformés de France avec l’espoir légitime de trouver une oreille, sinon complice, du moins bienveillante ; or c’est tout juste si l’aversion qu’il éprouvait pour les Guises ne lui était pas reprochée ! Son interlocuteur le scruta d’un oeil bleu, soudain froid.
    — Vous n’aurez pas droit à l’erreur, prévint-il. Les Guises sont comme certains scorpions : si vous ne les tuez pas du premier coup, ce sont eux qui vous feront la peau.
    Le prince, à la mode calviniste, était vêtu de noir – même si l’étoffe de son pourpoint était des plus somptueuses. Il avait le nez un peu fort et les yeux exorbités. Ses lèvres charnues, entourées d’une barbe roussâtre et pointue, prenaient machinalement un air dégoûté.
    — Notez que je vous trouve courageux, concédat-il. Mais...
    Louis de Condé cherchait souvent ses mots ; certaines de ses phrases restaient en suspens de longs moments, emplissant la pièce d’un silence qu’il ne fallait pas s’aviser de