Madame Catherine
s’entretenaient à mi-voix, d’une manière si hermétique que l’on eût dit, déjà, des religieux récitant leurs antiennes... Et puis soudain, sans que rien l’eût annoncé, le cercle se désagrégea ; la Faculté s’éparpilla comme une bande de corbeaux dispersés par quelque mystérieux signal. Un moment, le coeur de la reine s’arrêta de battre dans sa poitrine. Elle avait compris : les praticiens, tout pénétrés de leurs limites, abandonnaient le roi. L’abcès avait gagné tout l’intérieur du crâne ; trépaner n’eût plus servi de rien. La Médecine, impuissante, s’effaçait devant la Mort.
Dans un coin de la chambre, le jeune dauphin François, plus défiguré que jamais par les veilles et par la douleur, faisait peine à voir. Et c’est tout juste si la présence, à ses côtés, de la brillante petite dauphine et reine d’Écosse nuançait le tableau d’une touche d’espoir : pour consoler ceux qui pleuraient, Marie Stuart affichait trop de sérénité.
— Voyez mon oncle, il s’est endormi, fit-elle remarquer d’un ton presque amusé.
Elle désignait le cardinal de Lorraine, assoupi de fait sur un coffre, dans l’embrasure d’une fenêtre.
— Ma bonne mère voudra-t-elle un peu de bouillon ?
Catherine la dévisagea sans répondre, avec l’étonnement vague que l’on réserve d’habitude aux étrangers trop familiers. D’un regard, elle appela son fils auprès d’elle. François se leva donc et, accablé par le fardeau invisible de cette couronne qui se rapprochait de son front, vint s’accouder au fauteuil de la reine.
— C’est à vous que le roi aura dicté sa dernière lettre, murmura-t-elle. D’un père à un fils...
Elle laissa de grosses larmes rouler sur ses joues. La fameuse lettre, adressée au pape lui-même, prenait soin d’annoncer au Saint-Père l’arrestation du conseiller Du Bourg et d’autres parlementaires luthériens. Le roi y avait consacré ses dernières forces, comme au couronnement de son règne, à son ultime raison de fierté...
La reine Catherine se leva et, tenant son fils aîné par la main, le conduisit auprès de ce père expirant dont le visage, à présent tuméfié, n’exprimait plus aucune conscience de ce monde. Elle pensait certainement, dans ce moment précis, que cette agonie terrible touchait à sa fin.
Il n’en fut rien.
Bien que la blessure d’Henri fût atroce et profonde, quoique sa survie, dans de telles conditions, relevât d’une sorte de miracle inutile, le souffle du grand blessé ne s’éteignit pas aussi vite. Durant cinq jours encore, et quatre nuits, pendant plus de cent heures se perpétua, s’étira hors de toute raison, l’agonie du monarque.
Le lundi seulement, 10 juillet, vers une heure, le grand chambellan put souffler la bougie qui, près du mourant, trahissait la présence persistante d’un souffle de vie. Le grand roi Henri le Second avait cessé de régner. Ses familiers en cercle, ravagés de fatigue, avaient trop guetté cette minute pour ne pas en ressentir, malgré eux, un certain soulagement.
La reine Catherine récita une prière ; elle baisa les mains du mort, entourées déjà d’un grand chapelet ; puis elle se dirigea lentement vers la sortie, entraînant la famille dans son sillage. C’est alors que se produisit le plus surprenant des esclandres.
La jeune reine d’Écosse, devenue reine de France par la grâce instantanée de ce trépas, joua des coudes afin d’atteindre la porte en même temps que sa belle-mère ; le duc de Guise, son oncle, lui emboîtait le pas. Catherine, au moment de sortir, hésita sur l’étiquette à suivre et jeta un regard au duc, qui demeura sans expression... Alors, le souffle court, et comme rappelée soudain à la plus vile réalité, elle intégra la préséance nouvelle et, sans faire de difficulté, s’abîma dans une révérence profonde – l’hommage d’une sujette à sa souveraine.
La courtoisie aurait voulu que la jeune Marie Stuart déclinât l’honneur, et s’effaçât discrètement devant cette veuve éplorée, mais elle était bien trop crispée sur ses prérogatives. Relevant le menton comme une reine de théâtre, elle prit donc le pas de la plus grossière façon, et sortit la première de la chambre funèbre, à la consternation générale.
Chapitre VIII
La conjurée
(Hiver 1560)
Sans être dupe de sa partialité, je me suis beaucoup inspiré, pour ce chapitre, de L’Histoire populaire du
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