Madame de Montespan
d’amende et trente acquittements ». À la fin de l’année 1682, le 15 décembre, Louis XIV signait l’ordre de dispersion des accusés qui avaient trop parlé. Ils allaient être répartis dans quelques bonnes forteresses du royaume. À Belle-Isle, on expédie douze femmes dont Madeleine Chapelain et la fille Voisin. « Attention, écrit Louvois (qui n’a plus rien à gagner, maintenant !) au gouverneur de la place, attention, ces femmes-là sont fort entreprenantes. Sa Majesté vous recommande de les faire garder avec beaucoup de précautions et de les traiter fort sévèrement... surtout, vous observerez d’empêcher que l’on entende les sottises qu’elles pourraient crier tout haut. Veillez à ce qu’elles n’aient aucun contact avec l’extérieur. »
En vérité, elles étaient quasi murées vives, rayées de la liste du monde des vivants. Elles ne touchèrent du linge frais qu’au bout de trois années de captivité ! Lors de l’hiver 1686, elles obtinrent quand même l’autorisation de se chauffer au bois et s’éclairer à la chandelle. Elles ne pouvaient donc que se repentir d’avoir accablé la favorite. Certes, elles avaient évité les bûchers, mais à Belle-Isle, dans leur cave sordide, elles agonisaient en enfer.
L’abbé Guibourg, Coeuret-Lesage et Gallet croupissaient, quant à eux, sur la paille (humide, évidemment !) des cachots de la citadelle de Besançon. Même consigne de Louvois : qu’ils se taisent, sinon corrigez-les cruellement !
Le chevalier de Vanens avait pris la direction des galères de Marseille quand La Reynie se souvint subitement qu’il avait, lui aussi, cité le nom de Mme de Montespan et que donc, il pouvait continuer d’affabuler. Demi-tour, Vanens, direction le Jura, la forteresse Saint-André-de-Salins où on l’enchaînera dans un étroit cul-de-basse-fosse !
Certains complices de la Voisin et de la Filhastre prirent la route des Pyrénées orientales et furent écroués à Saleilles. D’autres le furent à Villefranche-de-Conflent et leurs conditions d’incarcération étaient telles qu’ils ne tardèrent pas à rendre leur âme au diable. « Quels furent les propos de toute cette lie vomie de l’enfer, de ces empoisonneuses et officiants de messes noires condamnés à mourir enchaînés et à voir mourir en face d’eux leurs complices ! quelle scène pour un dramaturge ! » observe André Castelot.
Mais si l’on reste songeur devant l’horrible fin des acteurs du drame, on est surpris, aussi, devant la volte-face de Louvois. N’ira-t-il pas, lorsque Lesage (encore lui !), depuis sa geôle de Besançon, clame qu’il a de nouvelles révélations à lui faire, jusqu’à dire à M. de Montcault, gouverneur de la citadelle : « Vous ne sauriez agir trop durement envers ce fripon-là qui, pendant tout le temps qu’il a été à Vincennes, n’a jamais pu dire un mot de vérité. Ne l’écoutez pas, toutes ses sottises sont sans fondement ! »
Le 14 juin 1709, mourait à Paris Gabriel Nicolas de La Reynie, dans sa quatre-vingt-cinquième année. « Il a fait le moins de mal possible », note Saint-Simon. Un mois plus tard, le 13 juillet, à Versailles, en présence de Mme de Maintenon et du comte de Pontchartrain, chancelier de France, Louis XIV jetait une à une dans la cheminée de son cabinet toutes les liasses de papiers de l’affaire des poisons. Et l’Affaire s’en va en fumée : un tas de cendres. L’Histoire ne saura donc rien ? Erreur, car le vieux Roi ignorait que son méticuleux policier avait pris le soin, de son côté, de consigner bien des faits, répertorier bien des témoignages, de résumer, de classer ses correspondances. Autant de notes qui sont aujourd’hui conservées au département des manuscrits de la Bibliothèque nationale. C’était le dernier acte. Quant au dernier acteur de l’énorme drame des poisons (en l’occurrence il s’agit d’une actrice qui s’appelle Denise Loyseau et qui n’a jamais été impliquée dans l’affaire de la Dame !), il mourut le 4 juin 1725 à Villefranche-de-Conflent, au terme de quarante et un ans de captivité.
XI
LA QUARANTAINE
Sa jambe était grosse, presque aussi grosse que moi.
P RIMI V ISCONTI .
Il se produisit à Versailles, à la fin de l’année 1680, un événement fort divertissant. C’est en lisant une lettre adressée par le père Quesnel {38} à son ami Antoine Arnauld {39} que nous en aurons le
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