Madame de Montespan
détail :
« Mme de Montespan a deux ours qui vont et viennent comme bon leur semble. Ils ont passé une nuit dans un magnifique appartement que l’on a fait à Mlle de Fontanges. Les peintres, en sortant le soir, n’avaient pas songé à fermer les portes ; ceux qui ont soin de cet appartement avaient eu autant de négligence que les peintres ; ainsi, les ours, trouvant les portes ouvertes, entrèrent, et, toute la nuit, gâtèrent tout. Le lendemain, on dit que les ours avaient vengé leur maîtresse ! Ceux qui devaient fermer l’appartement furent grondés, mais de telle sorte qu’ils résolurent bien de fermer la porte de bonne heure. Cependant, comme on parlait fort des dégâts des ours, quantité de gens allèrent dans l’appartement voir tout ce désordre. MM. Despréaux et Racine y allèrent aussi vers le soir, et, entrant de chambre en chambre, enfoncés ou dans leur curiosité ou dans leur douce conversation, ils ne prirent pas garde qu’on fermait les premières chambres ; de sorte que, quand ils voulurent sortir, ils ne le purent. Ils crièrent par les fenêtres, mais on ne les entendait point. Et les deux poètes firent bivouac où les deux ours l’avaient fait la nuit précédente, et eurent le loisir de songer ou à leur poésie ou à leur histoire future... »
Naturellement, les historiographes se sont bien gardés d’écrire le plus petit mot de cet épisode burlesque qui les avait ridiculisés.
En saccageant et en souillant l’appartement de la Fontanges, les ours d’Athénaïs vengeaient leur maîtresse, rapporte Quesnel. Il est vrai que pendant quelque temps, Marie-Angélique de Scoraille de Roussille de Fontanges – dix-neuf ans en 1680 – a sérieusement menacé l’empire de Mme de Montespan. « Elle est d’une beauté singulière ; elle paraît à la tribune de la chapelle comme une divinité, Mme de Montespan de l’autre côté, autre divinité. » Les sermons de Bossuet n’ont donc servi de rien. Le Roi continue d’adorer les déesses.
En avril 1679, Athénaïs avait été nommée chef du conseil et surintendante de la Maison de la Reine. En même temps, elle avait été autorisée à prendre le rang de duchesse... Un an plus tard, la belle Angélique était duchesse elle aussi, et avec 20 000 écus de pension. « Duchesse sans constitution régulière de duché, sans même un brevet », note Mme de Sévigné. Le Roi, sans doute, voulait la consoler : elle venait de mettre au monde une fille qui n’avait pas eu le temps de vivre. La jeune maman ne s’en remettra pas, d’ailleurs. Elle avait été « blessée dans le service » ! Et elle languira, dépérira, s’étiolera, traînera sa douleur de couvent en abbaye, de nonne en converse... Le Roi, qui a horreur des souffrances des autres, des gémissements et des larmes, se détachera d’elle. Et puis, détail horrible, elle est « incommodée d’une perte de sang très opiniâtre et très désobligeante ». Les uns prétendent qu’il s’agit d’une « rupture d’intestins », les autres, on l’a vu, murmurent que les poisons ne sont peut-être pas étrangers à l’affaire.
Elle se repose quelques jours en l’abbaye de Chelles, sa soeur vient d’y être nommée abbesse. On raconte, à ce propos, que la cérémonie du sacre fut grandiose, si belle qu’une femme se serait écriée :
N’est-ce pas ici le paradis ?
Ah non, Madame, lui aurait répondu un mécréant, il n’y aurait pas tant d’évêques !
À Chelles, nouvelle hémorragie. On la transporte à Port-Royal. Le samedi 28 juin, à 1 heure de relevé, elle y meurt. Le Roi était venu la visiter la veille. Il avait, ce jour-là, confié au duc de Noailles :
Si vous pouvez éviter de faire ouvrir le corps, je crois que c’est le meilleur parti.
On l’ouvrit cependant. Six médecins se pencheront alors sur les entrailles d’Angélique et le commissaire Delamarre-Diafoirus rédigera un impérissable « fatal procès-verbal d’ouverture » : « Hydropisie de la poitrine contenant plus de trois pintes d’eau avec beaucoup de matières purulentes dans les lobes droits du poumon... Le coeur est un peu flétri... le foie d’une grandeur démesurée... la matrice et la vessie très saines et très naturelles... La cause de la mort de la dame doit être attribuée à la pourriture totale des lobes droits du poumon, qui s’est faite ensuite de l’altération et intempérie chaude et sèche de son foie qui, ayant fait
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