Madame de Montespan
qu’il avait approché des lèvres de la marquise. Le duc d’Antin s’agenouilla. Mme la maréchale de Coeuvres pleurait.
Le comte de Toulouse bivouaquait à Montargis lorsqu’il apprit la mort de sa mère. Il jugea inutile de brûler encore le pavé, fit demi-tour et s’en vint se recueillir à Rambouillet.
Le Roi était à Marly lorsqu’il sut la nouvelle. Il allait se mettre en selle pour courre le cerf du côté de Louveciennes quand on lui apporta une lettre du duc d’Antin. Celui-ci expliquait que Mme de Montespan avait montré en mourant les sentiments les plus chrétiens et... il n’omettait pas d’ajouter qu’il demeurait « son plus fidèle sujet », « son plus dévoué serviteur ».
La réaction du Roi ? Apparemment, une complète indifférence : « Messieurs, en selle ! » Et la chasse se déroula comme à l’habitude. Cette fois, le cerf fut forcé du côté de Meudon. Mais au retour, sans être débotté, Louis XIV s’écarta de sa suite et marcha seul. On remarqua qu’il paraissait songeur. « Il prolongea sa promenade jusqu’à la nuit après avoir fait comprendre qu’aucun compagnon ne lui serait agréable. »
Et, sur les hauts de Marly, le vieux Roi solitaire aurait pu méditer : se souvenir de Marie Mancini qu’il avait tant aimée et qui menait aujourd’hui une vie désolée, et qui allait mourir séquestrée dans un couvent madrilène ; se souvenir d’Olympe, un bel amour qu’il avait disgracié à l’occasion de l’affaire des poisons, une fière autre Mancini qui s’était vengée en enfantant le prince Eugène, celui-là même qui venait d’écraser (1706) le duc d’Orléans sous les murs de Turin ! Se souvenir de La Vallière qui vivait encore en pénitence au Carmel ; de Marie-Isabelle dite la Belle de Ludre qui s’était elle aussi ensevelie dans les ténèbres du couvent ; d’Angélique de Fontanges qui était morte « blessée à son service » ; de Catherine de Gramont, jeune princesse de Monaco, qui fut « frappée dans sa beauté par toutes les laideurs de l’orgie » ; se souvenir d’Anne de Rohant, la pétillante princesse de Soubise. « Une fois à la cour, sa beauté avait fait le reste. » Elle était déjà bien malade en 1707, mais elle fut encore, selon Saint-Simon qui ne l’aimait guère, « deux années à pourrir dans l’hôtel de Guise qu’elle avait acheté avec sa vertu ».
Se souvenir d’Athénaïs...
Mme de Maintenon, le croira-t-on ? pleura. « Les larmes la gagnèrent que, faute de meilleur asile, elle fut cacher sur sa chaise percée ; Mme la duchesse de Bourgogne qui l’y poursuivit en demeura sans parole d’étonnement {62} »
« La mort de Mme de Montespan ne m’a pas mise hors d’état de vous écrire, confie-t-elle aussi à la princesse des Ursins, mais il est vrai que j’y fus fort sensible, car cette personne-là n’a pu m’être indifférente en aucun temps de ma vie. »
Si la Maintenon versa quelques larmes, elle n’intervint pas pour que l’on autorisât Toulouse et ses deux soeurs à porter le deuil. Car un ordre venu d’en haut leur avait signifié que les signes extérieurs de douleur étaient interdits ! Le duc du Maine, de son côté, « eut quelques difficultés à celer sa joie de la mort de sa mère ».
Quant à Antin, il écrira, dans ses Mémoires :
— Je ressentis toute la douleur que l’amitié la plus tendre et la plus sincère peut faire ressentir en pareille occasion et je repartis sur l’heure pour me retirer quelque temps chez moi, à Bellegarde.
Mémoire... un peu courte ! Car s’il n’assiste pas aux obsèques de sa mère – et c’est Saint-Simon encore qui nous narre l’aventure, et il tient ce récit de son épouse qui était alors bourbonnaise – c’est parce qu’il s’en alla aussitôt qu’il eut mis la main sur le testament ! Car il craignait d’être défavorisé au profit de ses demi-frères et soeurs et de la domesticité. Le testament disparu, Antin restait, ab intestat, l’unique et magnifique héritier de Mme de Montespan.
Dans son Journal, Dangeau confirme ce geste sordide du courtisan. « Le duc d’Antin se signala par un exploit qui montre à nu la beauté de son âme. La nuit de la mort de la marquise on vit un cavalier descendre de sa monture à la porte de la maison qu’elle occupait, entrer brusquement dans la chambre mortuaire, saisir une clef que la morte portait à son cou, s’emparer d’une cassette
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