Madame Thérèse ou Les Volontaires de 92 - Pourquoi Hunebourg ne fut pas rendu
La pauvre femme lui recommande de ne pas oublier
ses prières du matin et du soir et de bien se conduire. Elle lui
parle avec tendresse, comme à un enfant. C’était pourtant un vieux
soldat, mais elle le voyait sans doute encore tout rose et tout
blond, comme le jour où pour la dernière fois, elle l’avait
embrassé en sanglotant.
La voix de l’oncle en parlant de ces choses,
s’attendrissait ; il regardait la femme qui, de son côté,
semblait aussi touchée.
– Oui, vous avez raison, dit-elle, ce
doit être affreux d’apprendre qu’on ne verra plus son enfant. Moi,
du moins, j’ai la consolation de ne pouvoir plus causer d’aussi
grandes douleurs à ceux qui m’aimaient.
Alors elle détourna la tête, et l’oncle,
devenu très grave, lui demanda :
– Vous n’êtes pourtant pas seule au
monde ?
– Je n’ai plus ni père ni mère, fit-elle
d’une voix basse ; mon père était chef du bataillon que vous
avez vu ; j’avais trois frères, nous étions tous partis
ensemble en 92, de Fénétrange en Lorraine. Maintenant trois sont
morts, le père et les deux aînés ; il ne reste plus que moi et
Jean, le petit tambour.
La femme, en disant cela, semblait prête à
fondre en larmes. L’oncle, le front penché, les mains croisées sur
le dos, se promenait de long en large dans la chambre. Le silence
revenait.
Tout à coup la Française reprit :
– J’aurais quelque chose à vous demander,
monsieur le docteur ?
– Quoi, madame ?
– Ce serait d’écrire à la mère du
malheureux Croate. C’est terrible, sans doute, d’apprendre la mort
de son fils, mais de l’attendre toujours, d’espérer pendant des
années qu’il reviendra, et de voir qu’il n’arrive pas, même à la
dernière heure, ce doit être plus cruel encore.
Elle se tut, et l’oncle tout rêveur
répondit :
– Oui… oui, c’est une bonne pensée !
Fritzel, apporte l’encre et le papier. Quelle misère, mon
Dieu ! dire qu’on annonce des choses pareilles et que ce sont
encore de bonnes actions ! Ah ! la guerre… la guerre.
Il s’assit et se mit à écrire.
Lisbeth entrait alors pour mettre la
nappe ; elle déposa les assiettes et la miche sur le
buffet.
Midi sonnait ; la femme semblait s’être
assoupie.
Enfin l’oncle finit sa lettre ; il la
plia, la cacheta, écrivit l’adresse et me dit :
– Va, Fritzel, jette cette lettre à la
boîte, et dépêche-toi. Tu demanderas aussi le journal à la mère
Eberhardt ; c’est samedi, nous aurons des nouvelles de la
guerre.
Je sortis en courant et je mis la lettre à la
boîte du village. Mais le journal n’était pas arrivé ;
Clémentz avait été retenu par les neiges, ce qui n’étonna pas
l’oncle, pareille chose arrivant presque tous les hivers.
VIII
En revenant de la poste, j’avais aperçu tout
au loin, dans la grande prairie communale, derrière l’église, Hans
Aden, Frantz Sépel et bien d’autres de mes camarades qui glissaient
sur le guévoir. On les voyait prendre leur élan à la file, et
partir comme des flèches, les reins pliés et les bras en l’air pour
tenir l’équilibre ; on entendait le bruit prolongé de leurs
sabots sur la glace et leurs cris de joie.
Comme mon cœur galopait en les voyant !
comme j’aurais voulu pouvoir les rejoindre ! Malheureusement
l’oncle Jacob m’attendait alors, et je rentrai la tête pleine de ce
joyeux spectacle. Pendant tout le dîner, l’idée de courir là-bas ne
me quitta pas une seconde ; mais je me gardai bien d’en parler
à l’oncle, car il me défendait toujours de glisser sur le guévoir à
cause des accidents. Enfin il sortit pour aller faire une visite à
M. le curé, qui souffrait de ses rhumatismes.
J’attendis qu’il fût entré dans la grande rue,
puis je sifflai Scipio, et je me mis à courir jusqu’à la ruelle des
Houx, comme un lièvre. Le caniche bondissait derrière moi, et ce
n’est que dans la petite allée pleine de neige que nous reprîmes
haleine.
Je croyais retrouver tous mes camarades sur le
guévoir, mais ils étaient allés dîner ; je ne vis, au tournant
de l’église, que les grandes glissades désertes. Il me fallut donc
glisser seul, et, comme il faisait froid, au bout d’une demi-heure
j’en eus bien assez.
Je reprenais le chemin du village, quand Hans
Aden, Frantz Sépel et deux ou trois autres, les joues rouges, le
bonnet de coton tiré sur les oreilles et les mains dans les poches,
débouchèrent d’entre
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