Madame Thérèse ou Les Volontaires de 92 - Pourquoi Hunebourg ne fut pas rendu
leur
audace.
M. Richter disait que cela ne pouvait
durer, et que tous ces mauvais gueux seraient exterminés jusqu’au
dernier.
L’oncle finissait toujours sa lecture par
quelque réflexion judicieuse ; tout en repliant la gazette, il
disait :
– Louons le Seigneur de vivre au milieu
des bois, plutôt que dans les vignobles, dans la montagne aride,
plutôt que dans la plaine féconde. Ces Républicains n’espèrent rien
pouvoir happer ici ; voilà ce qui fait notre sécurité, nous
pouvons dormir en paix sur les deux oreilles. Mais que d’autres
sont exposés à leurs rapines ! Ces gens-là veulent tout par la
force ; or, la force n’a jamais rien produit de bon. Ils nous
parlent d’amour, d’égalité, de liberté, mais ils n’appliquent point
ces principes ; ils se fient à leur bras et non à la justice
de leur cause. Avant eux, et bien longtemps, d’autres sont venus
pour délivrer le monde ; ceux-là ne frappaient point, ils
n’immolaient point, ils périssaient par milliers et furent
représentés dans la suite des siècles par l’agneau que les loups
dévorent. On aurait cru que de ces hommes il ne devait plus même
rester un souvenir ; eh bien ! ils ont conquis le
monde ; ils n’ont pas conquis la chair, mais ils ont conquis
l’âme du genre humain, et l’âme, c’est tout ! – Pourquoi
ceux-ci ne suivent-ils pas le même exemple ?
Aussitôt Karolus Richter s’écriait d’un air
dédaigneux :
– Pourquoi ? C’est parce qu’ils se
moquent bien des âmes, et qu’ils envient les puissants de la terre.
Et d’abord tous ces Républicains sont des athées, depuis le premier
jusqu’au dernier ; ils ne respectent ni le trône ni
l’autel ; ils ont renversé des choses établies depuis
l’origine des temps ; ils ne veulent plus de noblesse, comme
si la noblesse n’était pas l’essence des choses sur la terre et
dans le ciel, comme s’il n’était pas reconnu que, parmi les hommes,
les uns naissent pour l’esclavage et les autres pour la domination,
comme si l’on ne voyait pas cet ordre établi même dans la
nature : les mousses sont sous l’herbe, l’herbe sous les
buissons, les buissons sous les arbres, et les arbres sous la voûte
céleste. De même, les paysans sont sous la bourgeoisie, la
bourgeoisie sous la noblesse de robe, la noblesse de robe sous la
noblesse d’épée, la noblesse d’épée sous le roi, et le roi sous le
pape, représenté par ses cardinaux, ses archevêques et ses évêques.
Voilà l’ordre naturel des choses.
« On aura beau faire, jamais un chardon
ne pourra s’élever à la hauteur d’un chêne, et jamais un paysan ne
pourra tenir le glaive, comme un descendant de l’illustre race des
guerriers.
« Ces Républicains ont obtenu quelques
succès éphémères, à cause de la surprise qu’ils ont causée à
l’univers par leur audace vraiment incroyable et leur absence de
sens commun. En niant toutes les doctrines et tous les principes
établis, ils ont frappé les gens raisonnables de
stupéfaction ; c’est là l’unique cause de ces bouleversements.
De même qu’il arrive quelquefois de voir un bœuf et même un taureau
s’arrêter tout à coup et s’enfuir à la vue d’un rat qui sort
subitement de dessous terre et se dresse devant lui, de même nous
voyons nos soldats étonnés et même déroutés par une semblable
audace. Mais tout cela ne peut durer longtemps, et la première
surprise une fois passée, je suis bien sûr que nos vieux généraux
de la guerre de Sept ans battront ce ramassis de va-nu-pieds à
plate couture, et qu’il n’en rentrera pas un seul dans leur
malheureux pays ! »
Ayant dit cela, M. Karolus rallumait sa
pipe et continuait à se promener de long en large, les mains
derrière le dos, d’un air satisfait de lui-même.
Tous les autres réfléchissaient à ce qu’ils
venaient d’entendre, et le mauser prenait enfin la parole à son
tour.
– Tout ce qui doit arriver arrive,
faisait-il. Puisque ces Républicains ont chassé leurs seigneurs et
leurs religieux, c’était écrit dans le ciel depuis le commencement
des temps : Dieu l’a voulu ! Maintenant, de savoir s’ils
reviendront, cela dépend de ce que le Seigneur Dieu voudra ;
s’il veut ressusciter les morts, cela dépend de Lui. Mais l’année
dernière, comme je regardais travailler mes abeilles, je vis que
tout à coup ces petits êtres, doux et même jolis, se mettaient à
tomber sur les frelons, à les piquer
Weitere Kostenlose Bücher