Madame Thérèse ou Les Volontaires de 92 - Pourquoi Hunebourg ne fut pas rendu
et à les traîner hors de la
ruche. Cela revient tous les ans. Ces frelons font les jeunes et
les abeilles les entretiennent tant que la ruche a besoin
d’eux ; mais ensuite elles les tuent : c’est quelque
chose d’abominable, et pourtant c’est écrit ! – En voyant
cela, je pensais à ces Républicains : ils sont en train de
tuer leurs frelons ; mais, soyez tranquilles, on ne peut
jamais se passer d’eux ; il en reviendra d’autres ; il
faudra les remplumer et les nourrir ; après cela les abeilles
se fâcheront encore et les tueront par centaines. On croira que
tout est fini, mais il en reviendra d’autres… ainsi de suite ;
il en faut… il en faut !…
Le mauser alors hochait la tête, et
M. Karolus, s’arrêtant au milieu de la chambre,
s’écriait :
– Qu’est-ce que vous appelez
frelons ? Les vrais frelons sont les orgueilleux vermisseaux
qui se croient capables de tout, et non les seigneurs et les
religieux.
– Sauf votre respect, monsieur Richter,
faisait le mauser, les frelons sont ceux qui ne veulent rien faire
et jouir de tout ; ceux qui, sans rendre aucun service que de
bourdonner autour de la reine, veulent qu’on les entretienne
grassement. On les entretient, mais finalement, il est écrit qu’on
les jette dehors. C’est arrivé mille et mille fois, et cela ne peut
manquer d’arriver toujours. Les abeilles travailleuses, pleines
d’ordre et d’économie, ne peuvent nourrir des êtres propres à rien.
C’est malheureux, c’est triste, mais voilà : quand on fait du
miel, on aime à le garder pour soi.
– Vous êtes un jacobin ! s’écriait
Karolus indigné.
– Non, au contraire, je suis un bourgeois
d’Anstatt, taupier et éleveur d’abeilles ; j’aime mon pays
autant que vous ; je me sacrifierais pour lui, peut-être
plutôt que vous. Mais je suis bien forcé de dire que les vrais
frelons sont ceux qui ne font rien, et que les abeilles sont celles
qui travaillent, puisque je l’ai vu cent fois.
– Ah ! s’écriait Karolus Richter, je
parierais que Koffel a les mêmes idées que vous !
Alors le petit menuisier, qui n’avait rien
dit, répondait en clignant de l’œil :
– Monsieur Karolus, si j’avais le bonheur
d’être le petit-fils d’un domestique de Yéri-Péter ou de Salm-Salm,
et si j’en avais hérité de grands biens, qui m’entretiendraient
dans l’abondance et la paresse, alors je dirais que les frelons
sont les travailleurs et les abeilles les fainéants. Mais de la
façon dont je suis, j’ai besoin de tout le monde pour vivre, et je
ne dis rien. Je me tais. Seulement je pense que chacun devrait
obtenir ce qu’il mérite par son travail.
– Mes chers amis, reprenait alors l’oncle
gravement, ne parlons pas de ces choses, car nous ne pourrions nous
entendre. La paix ! la paix ! voilà ce qu’il nous faut.
C’est la paix qui fait prospérer les hommes et qui remet tous les
êtres à leur place véritable. Par la guerre, on voit les mauvais
instincts prévaloir : le meurtre, la rapine et le reste. Aussi
tous les hommes de mauvaise vie aiment la guerre ; c’est le
seul moyen pour eux de paraître quelque chose. En temps de paix,
ils ne seraient rien ; on verrait trop facilement que leurs
pensées, leurs inventions et leurs désirs se rapportent à de
pauvres génies. L’homme a été créé par Dieu pour la paix, pour le
travail, l’amour de sa famille et de ses semblables. Or, puisque la
guerre va contre tout cela, c’est un véritable fléau. Maintenant,
voici dix heures qui sonnent, nous pourrions nous disputer jusqu’à
demain sans nous entendre davantage. Je propose donc d’aller nous
coucher.
Tout le monde se levait alors, et le
bourgmestre, appuyant ses deux gros poings aux bras de son
fauteuil, s’écriait :
– Fasse le ciel que ni les Républicains,
ni les Prussiens ni les Impériaux ne passent par ici, car tous ces
gens ont faim et soif ! Et comme il est plus agréable de boire
son vin soi-même que de le voir avaler par les autres, j’aime
beaucoup mieux apprendre ces choses par la gazette que d’en jouir
par mes propres yeux. Voilà ce que je pense.
Sur cette réflexion, il s’acheminait vers la
porte ; les autres le suivaient.
– Bonne nuit ! criait l’oncle.
– Bonsoir ! répondait le mauser en
s’éloignant dans la rue sombre.
La porte se refermait, et l’oncle soucieux me
disait :
– Allons, Fritzel, tâche de bien
dormir.
– Pareillement, mon oncle,
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