Madame Thérèse ou Les Volontaires de 92 - Pourquoi Hunebourg ne fut pas rendu
Jacob ; mais de voir partir le miel sans
argent, cela lui paraissait bien dur.
Le mauser me reconduisit jusque dehors, et je
retournai chez nous, bien content de ce qui venait d’arriver.
XI
Au coin de l’église, je rencontrai le petit
Hans Aden, qui revenait de glisser sur le guévoir ; il s’en
retournait, les mains dans les poches jusqu’aux coudes, et me
cria :
– Fritzel ! Fritzel !
S’étant approché, d’abord il regarda les deux
beaux rayons de miel, et me dit :
– C’est pour vous ça ?
– Non, c’est pour faire de la boisson à
la dame française.
– Je voudrais bien être malade à sa
place, dit-il, en se léchant, d’un air expressif, le bord de ses
grosses lèvres retroussées.
Puis il demanda :
– Qu’est-ce que tu fais, cet
après-midi ?
– Je ne sais pas ; j’irai me
promener avec Scipio.
Alors il regarda le chien, et, se grattant le
bas du dos :
– Écoute, si tu veux, dit-il, nous irons
poser des attrapes derrière le fumier de la poste ; il y a
beaucoup de verdiers et de moineaux le long des haies, sous les
hangars et dans les arbres du
Postthâl
.
– Je veux bien, lui répondis-je.
– Oui, arrive ici, sur le perron ;
nous partirons ensemble.
Avant de nous séparer, Hans Aden me demanda
s’il pouvait passer le doigt au fond de l’assiette ; je lui
donnai cette permission, et il trouva le miel très bon. Après quoi,
chacun reprit son chemin, et je rentrai chez nous vers onze heures
et demie.
– Ah ! te voilà ! s’écria
Lisbeth en me voyant entrer dans la cuisine, je croyais que tu ne
reviendrais plus ; Dieu du ciel, il t’en faut, à toi, du temps
pour faire une commission !
Je lui racontai ma rencontre avec le mauser
sur l’escalier du
Cruchon-d’Or
, la dispute de Koffel, du
vieux Schmitt et du taupier contre M. Richter, la grande
bataille de Max et de Scipio ; et, finalement, la manière dont
le mauser m’avait recommandé de dire qu’il ne voulait pas d’argent
pour son miel, et qu’il l’offrait de bien bon cœur à la dame
française, une personne « respectable ».
Comme la porte était ouverte, Mme Thérèse
entendit ces choses et me dit de venir. Alors je vis qu’elle était
attendrie, et quand je lui présentai le miel, elle l’accepta.
– C’est bien, Fritzel, dit-elle, les
larmes aux yeux, c’est bien mon enfant, je suis contente, bien
contente de ce présent ; l’estime des honnêtes gens nous fait
toujours beaucoup de plaisir. Lorsque le mauser viendra, je veux le
remercier moi-même.
Puis elle se pencha et passa la main sur la
tête de Scipio, qui se tenait devant le lit, le nez en l’air ;
elle souriait, et dit :
– Hé ! Scipio, tu soutiens donc
aussi la bonne cause ?
Lui, voyant la joie briller dans ses yeux, se
mit à aboyer tout haut ; il se plaça même sur son derrière,
comme pour faire l’exercice.
– Oui, oui, je vais mieux maintenant, lui
dit-elle, je me sens plus forte… Ah ! nous avons beaucoup
souffert !
Puis, exhalant un soupir, elle se remit le
coude dans l’oreiller en disant :
– Une bonne nouvelle… seulement une bonne
nouvelle, et tout sera bien !
Lisbeth venait de dresser la table, elle ne
disait rien ; Mme Thérèse redevenait rêveuse.
La pendule sonna midi, et, quelques instants
après, la vieille servante apporta la petite soupière pour nous
deux ; elle fit le signe de la croix et nous dinâmes.
À chaque instant je tournais la tête pour
regarder si Hans Aden ne se promenait pas déjà sur le perron de
l’église. Mme Thérèse, qui venait de se recoucher, nous
tournait le dos, la couverture sur l’épaule ; elle avait sans
doute encore de grandes inquiétudes. Moi, je ne songeais qu’aux
fumiers du
Postthâl
; je voyais déjà nos attrapes en
briques posées autour dans la neige, la tuile levée, soutenue par
deux petits bois en fourche, et les grains de blé au bord et dans
le fond. Je voyais les verdiers tourbillonner dans les arbres, et
les moineaux rangés à la file, sur le bord des toits, s’appelant,
épiant, écoutant, tandis que nous, tout au fond du hangar, derrière
les bottes de paille, nous attendions le cœur battant d’impatience.
Puis un moineau voltigeait sur le fumier, la queue en éventail,
puis un autre, puis toute la bande. Les voilà ! les voilà près
de nos attrapes !… Ils vont descendre… déjà un, deux, trois
sautent autour et becquètent les grains de blé…
Frouu
! tous
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