Madame Thérèse ou Les Volontaires de 92 - Pourquoi Hunebourg ne fut pas rendu
canons,
l’une des plus grandes profanations qui se puissent concevoir,
puisque ce qui devait donner la vie à l’âme était destiné
maintenant à tuer le corps.
Il disait aussi que les assignats ne valaient
rien et que bientôt, quand les nobles seraient rentrés en
possession de leurs châteaux et les prêtres de leurs couvents, ces
papiers sans hypothèque ne seraient plus bons que pour allumer le
feu des cuisines. Il avertissait charitablement les gens de les
refuser à n’importe quel prix.
Après cela venait la liste des exécutions
capitales, et malheureusement elle était longue ; aussi le
Zeitblatt
s’écriait que ces Républicains feraient changer
le proverbe « que les loups ne se mangent pas entre
eux. »
Enfin il se moquait de la nouvelle ère,
prétendue républicaine, dont les mois s’appelaient vendémiaire,
brumaire, frimaire, nivôse, pluviôse, etc. Il disait que ces fous
avaient l’intention de changer le cours des astres et de pervertir
les saisons, de mettre l’hiver en été et le printemps en
automne ; de sorte qu’on ne saurait plus quand faire les
semailles ni les moissons ; que cela n’avait pas le sens
commun, et que tous les paysans en France en étaient indignés.
Ainsi s’exprimait le
Zeitblatt
.
Koffel et le mauser, pendant cette lecture, se
jetaient de temps en temps un coup d’œil rêveur, Mme Thérèse
et le père Schmitt semblaient tout pensifs, personne ne disait
rien. L’oncle lisait toujours, en s’arrêtant une seconde à chaque
nouveau paragraphe, et la vieille horloge poursuivait sa cadence
éternelle.
Vers la fin, il était question de la guerre de
Vendée, de la prise de Lyon, de l’occupation de Toulon par les
Anglais et les Espagnols, de l’invasion de l’Alsace par Wurmser et
de la bataille de Kaiserslautern, où ces fameux Républicains
s’étaient sauvés comme des lièvres. Le
Zeitblatt
prédisait
la fin de la République pour le printemps suivant, et finissait par
ces paroles du prophète Jérémie, qu’il adressait au peuple
français : « Ta malice te châtiera et tes infidélités te
reprendront ; tu sera remis sous ton joug et dans tes liens
rompus, afin que tu saches que c’est une chose amère que
d’abandonner l’Éternel, ton Dieu ! »
Alors l’oncle replia le journal et
dit :
– Que penser de tout cela ? Chaque
jour on nous annonce que cette République va finir ; il y a
six mois elle était envahie de tous côtés, les trois quarts de ses
provinces étaient soulevées contre elle, la Vendée avait remporté
de grandes victoires et nous aussi ; eh bien ! maintenant
elle nous a repoussés de presque partout, elle tient tête à toute
l’Europe, ce que ne pourrait faire une grande monarchie ; nous
ne sommes plus dans le cœur de ses provinces, mais seulement sur
ses frontières, elle s’avance même chez nous, et l’on nous dit
qu’elle va périr ! Si ce n’était pas le savant Dr Zacharias
qui écrive ces choses, je concevrais de grands doutes sur leur
sincérité.
– Hé ! monsieur Jacob, répondit
Mme Thérèse, ce docteur-là voit peut-être les choses comme il
les désire ; cela se présente souvent et n’ôte rien à la
sincérité des gens ; ils ne veulent pas tromper, mais ils se
trompent eux-mêmes.
– Moi, dit le père Schmitt en se levant,
tout ce que je sais, c’est que les soldats républicains se battent
bien, et que si les Français en ont trois ou quatre cent mille
comme ceux que j’ai vus, j’ai plus peur pour nous que pour eux.
Voilà mon idée. Quant à Jupiter, qui met les gens sous le Vésuvius
pour leur faire vomir du feu, c’est un nouveau genre de batterie
que je ne connais pas, mais je voudrais bien le voir.
– Et moi, dit le mauser, je pense que ce
Dr Zacharias ne sait pas ce qu’il dit ; si j’écrivais le
journal à sa place, je le ferais autrement.
Il se baissa près du fourneau pour ramasser
une braise, car il éprouvait un grand besoin de fumer. Le vieux
Schmitt suivit son exemple, et comme la nuit était venue, ils
sortirent tous ensemble, Koffel le dernier, en serrant la main de
l’oncle Jacob et saluant Mme Thérèse.
XIII
Le lendemain, Mme Thérèse s’occupait déjà
des soins du ménage ; elle visitait les armoires, dépliait les
nappes, les serviettes, les chemises, et même le vieux linge tout
jaune entassé là depuis la grand-mère Lehnel ; elle mettait à
part ce qu’on pouvait encore réparer, tandis que Lisbeth dressait
le
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