Madame Thérèse ou Les Volontaires de 92 - Pourquoi Hunebourg ne fut pas rendu
grand tonneau plein de cendres dans la buanderie. Il fallut
faire bouillir l’eau jusqu’à minuit pour la grande lessive. Et les
jours suivants ce fut bien autre chose encore, lorsqu’il s’agit de
blanchir, de sécher, de repasser et de raccommoder tout cela.
Mme Thérèse n’avait pas son égale pour
les travaux de l’aiguille ; cette femme, qu’on n’avait crue
propre qu’à verser des verres d’eau-de-vie et à se trimbaler sur
une charrette derrière un tas de sans-culottes, en savait plus,
touchant les choses domestiques, que pas une commère d’Anstatt.
Elle apporta même chez nous l’art de broder des guirlandes, et de
marquer en lettres rouges le beau linge, chose complètement ignorée
jusqu’alors dans la montagne, et qui prouve combien les grandes
révolutions répandent la lumière.
De plus, Mme Thérèse aidait Lisbeth à la
cuisine, sans la gêner, sachant que les vieux domestiques ne
peuvent souffrir qu’on dérange leurs affaires.
– Voyez pourtant, madame Thérèse, lui disait
quelquefois la vieille servante, comme les idées changent ;
dans les premiers temps, je ne pouvais pas vous souffrir à cause de
votre République, et maintenant si vous partiez, je croirais que
toute la maison s’en va, et que nous ne pouvons plus vivre sans
vous.
– Hé ! lui répondait-elle en
souriant, c’est tout simple, chacun tient à ses habitudes ;
vous ne me connaissiez pas, je vous inspirais de la défiance ;
chacun, à votre place, eût été de même.
Puis elle ajoutait tristement :
– Il faudra pourtant que je parte,
Lisbeth ; ma place n’est pas ici, d’autres soins m’appellent
ailleurs.
Elle songeait toujours à son bataillon, et,
lorsque Lisbeth s’écriait :
– Bah ! vous resterez chez
nous ; vous ne pouvez plus nous quitter maintenant. Vous
saurez qu’on vous considère beaucoup dans le village, et que les
gens de bien vous respectent. Laissez là vos sans-culottes ;
ce n’est pas la vie d’une honnête personne d’attraper des balles ou
d’autres mauvais coups à la suite des soldats. Nous ne vous
laisserons plus partir.
Alors elle hochait la tête, et l’on voyait
bien qu’un jour ou l’autre elle dirait : « Aujourd’hui,
je pars ! » et que rien ne pourrait la retenir.
D’un autre côté, les discussions sur la guerre
et sur la paix continuaient toujours, et c’était l’oncle Jacob qui
les recommençait. Chaque matin il descendait pour convertir
Mme Thérèse, disant que la paix devait régner sur la terre,
que dans les premiers temps la paix avait été fondée par Dieu
lui-même, non seulement entre les hommes, mais encore entre les
animaux ; que toutes les religions recommandent la paix ;
que toutes les souffrances viennent de la guerre : la peste,
le meurtre, le pillage, l’incendie ; qu’il faut un chef à la
tête des États pour maintenir l’ordre, et par conséquent des nobles
qui soutiennent ce chef ; que ces choses avaient existé de
tout temps, chez les Hébreux, chez les Égyptiens, les Assyriens,
les Grecs et les Romains ; que la république de Rome avait
compris cela, que les consuls et les dictateurs étaient des espèces
de rois soutenus par de nobles sénateurs, soutenus eux-mêmes par de
nobles chevaliers, lesquels s’élevaient au-dessus du peuple ;
– que tel était l’ordre naturel et qu’on ne pouvait le changer
qu’au détriment des plus pauvres eux-mêmes ; car, disait-il,
les pauvres, dans le désordre, ne trouvent plus à gagner leur vie
et périssent comme les feuilles en automne, lorsqu’elles se
détachent des branches qui leur portaient la sève.
Il disait encore une foule de choses non moins
fortes ; mais toujours Mme Thérèse trouvait de bonnes
réponses soutenant que les hommes sont égaux en droits par la
volonté de Dieu ; que le rang doit appartenir au mérite et non
à la naissance ; que des lois sages, égales pour tous,
établissent seules des différences équitables entre les citoyens,
en approuvant les actions des uns et condamnant celles des
autres ; qu’il est honteux et misérable d’accorder des
honneurs et de l’autorité à ceux qui n’en méritent pas ; que
c’est avilir l’autorité et l’honneur lui-même en les faisant
représenter par des êtres indignes, et que c’est détruire dans tous
les cœurs le sentiment de la justice, en montrant que cette justice
n’existe pas, puisque tout dépend du hasard de la naissance ;
que pour établir un tel
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