Madame Thérèse ou Les Volontaires de 92 - Pourquoi Hunebourg ne fut pas rendu
de Mme Thérèse
pendait au mur. Elle s’assit au coin du fourneau, m’attirant sur
ses genoux en silence ; Lisbeth rentra dans la cuisine
préparer le souper, et dès lors aucune parole ne fut
échangée ; la pauvre femme rêvait sans doute à l’avenir qui
l’attendait sur la route de Mayence, au milieu de ses compagnons
d’infortune ; elle ne disait rien, et je sentais sa douce
respiration sur ma joue.
Cela durait depuis une demi-heure, et la nuit
était venue, lorsque l’oncle ouvrit la porte, en
demandant :
– Êtes-vous là, madame Thérèse ?
– Oui, monsieur le docteur.
– Bon… bon… J’ai vu mes malades… J’ai
prévenu Koffel, le mauser et le vieux Schmitt ; tout va
bien ; ils seront ici ce soir pour recevoir vos adieux.
Sa voix était raffermie. Il alla lui-même
chercher de la lumière à la cuisine, et, nous voyant ensemble en
rentrant, cela parut le réjouir.
– Fritzel se conduit bien, dit-il.
Maintenant il va perdre vos bonnes leçons ; mais j’espère
qu’il s’exercera tout seul à lire en français, et qu’il se
rappellera toujours qu’un homme ne vaut que par ses connaissances.
Je compte là-dessus.
Alors Mme Thérèse lui fit voir son petit
paquet en détail ; elle souriait, et l’oncle disait :
– Quel heureux caractère ont ces
Français ! Au milieu des plus grandes infortunes, ils
conservent un fond de gaieté naturelle ; leur désolation ne
dure jamais plusieurs jours. Voilà ce que j’appelle un présent de
Dieu, le plus beau, le plus désirable de tous.
Mais de cette journée, – dont le souvenir
ne s’effacera jamais de ma mémoire, parce qu’elle fut la première
où je vis la tristesse de ceux que j’aimais ; – de tout
ce jour, ce qui m’attendrit le plus, ce fut quelques instants avant
le souper, lorsque, tranquillement assise derrière le poêle, la
tête de Scipio sur les genoux, et regardant au fond de la salle
obscure d’un air rêveur, Mme Thérèse se prit tout à coup à
dire :
– Monsieur le docteur, je vous dois bien
des choses… et cependant il faut que je vous fasse encore une
demande.
– Quoi donc, madame Thérèse ?
– C’est de garder auprès de vous mon
pauvre Scipio… de le garder en souvenir de moi… Qu’il soit le
compagnon de Fritzel, comme il a été le mien, et qu’il n’ait pas à
supporter les nouvelles épreuves de ma vie de prisonnière.
Comme elle disait cela, je crus sentir mon
cœur se gonfler, et je frémis de bonheur et de tendresse jusqu’au
fond des entrailles. J’étais accroupi sur ma petite chaise basse
devant le fourneau ; je pris mon Scipio, je l’attirai,
j’enfonçai mes deux grosses mains rouges dans son épaisse toison,
un véritable déluge de larmes inonda mes joues ; il me
semblait qu’on venait de me rendre tous les biens de la terre et du
ciel que j’avais perdus.
L’oncle me regardait tout surpris ; il
comprit sans doute ce que j’avais souffert en songeant qu’il
fallait me séparer de Scipio, car, au lieu de faire des
observations à Mme Thérèse sur le sacrifice qu’elle
s’imposait, il dit simplement :
– J’accepte, madame Thérèse, j’accepte
pour Fritzel, afin qu’il se souvienne combien vous l’avez
aimé ; qu’il se rappelle toujours que, dans le plus grand
chagrin, vous lui avez laissé, comme marque de votre affection, un
être bon, fidèle, non seulement votre propre compagnon, mais encore
celui de Petit-Jean, votre frère ; qu’il ne l’oublie jamais et
qu’il vous aime aussi.
Puis s’adressant à moi :
– Fritzel, dit-il, tu ne remercies pas
Mme Thérèse ?
Alors je me levai, et, sans pouvoir dire un
mot tant je sanglotais, j’allai me jeter dans les bras de cette
excellente femme et je ne la quittai plus ; je me tenais près
d’elle, le bras sur son épaule, regardant à nos pieds Scipio à
travers de grosses larmes, et le touchant du bout des doigts avec
un sentiment de joie inexprimable.
Il fallut du temps pour m’apaiser.
Mme Thérèse, en m’embrassant, disait : « Cet enfant
a bon cœur, il s’attache facilement, c’est bien ! » ce
qui redoublait encore mes pleurs. Elle écartait mes cheveux de mon
front et semblait attendrie.
Après le souper, Koffel, le mauser et le vieux
Schmitt arrivèrent gravement, le bonnet sous le bras ; ils
exprimèrent à Mme Thérèse leur chagrin de la voir partir, et
leur indignation contre ce gueux de Richter, auquel tout le monde
attribuait la
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