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Madame Thérèse ou Les Volontaires de 92 - Pourquoi Hunebourg ne fut pas rendu

Madame Thérèse ou Les Volontaires de 92 - Pourquoi Hunebourg ne fut pas rendu

Titel: Madame Thérèse ou Les Volontaires de 92 - Pourquoi Hunebourg ne fut pas rendu Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Erckmann-Chatrian
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dénonciation, car seul il était capable d’un trait
pareil.
    On s’était assis autour du fourneau ;
Mme Thérèse semblait touchée de la douleur de ces braves gens,
et malgré cela son caractère, ferme, décidé, ne l’abandonnait
pas.
    – Écoutez, mes amis, dit-elle, si le
monde était semé de roses, et si l’on ne trouvait partout que des
gens de cœur pour célébrer la justice et le bon droit, quel mérite
aurait-on à soutenir ces principes ? Franchement, cela ne
vaudrait pas la peine de vivre ! Nous avons de la chance
d’arriver dans un temps où l’on fait de grandes choses, où l’on
combat pour la liberté ; du moins on parlera de nous, et notre
existence n’aura pas été inutile : toutes nos misères, toutes
nos souffrances, tout notre sang répandu formeront un sublime
spectacle pour les générations futures ; tous les gueux
frémiront en pensant qu’ils auraient pu nous rencontrer et que nous
les aurions balayés, et toutes les grandes âmes regretteront de
n’avoir pu prendre part à nos travaux. Voilà le fond des choses. Ne
me plaignez donc pas ; je suis fière et je suis heureuse de
souffrir pour la France qui représente dans le monde la liberté, la
justice et le droit. – Vous nous croyez peut-être
battus ? C’est une erreur : nous avons reculé d’un pas
hier, nous en ferons vingt en avant demain. Et si par malheur la
France ne représente plus un jour cette grande cause que nous
défendons, d’autres peuples prendront notre place et poursuivront
notre ouvrage, car la justice et la liberté sont immortelles, et
tous les despotes du monde ne parviendront jamais à les détruire.
– Quant à moi, je pars pour Mayence et peut-être pour la
Prusse, escortée par des soldats de Brunswick ; mais
souvenez-vous de ce que je vous dis : les Républicains n’en
sont encore qu’à leur première étape, et je suis sûre qu’avant la
fin de l’année prochaine ils viendront me délivrer.
    Ainsi parlait cette femme fière, qui souriait,
et dont les yeux étincelaient. On voyait bien que les misères
n’étaient rien pour elle, et chacun pensait : « Si ce
sont là les femmes républicaines, qu’est-ce que les hommes doivent
donc être ?… »
    Koffel pâlissait de plaisir en l’écoutant
parler ; le mauser clignait de l’œil à l’oncle et lui disait
tout bas :
    – Tout ça, je le sais depuis longtemps,
c’est écrit dans mon livre ; il faut que ces choses arrivent…
c’est écrit !
    Le vieux Schmitt, ayant demandé la permission
d’allumer sa pipe, lançait de grosses bouffées coup sur coup, et
murmurait entre ses dents :
    – Quel malheur que je n’aie pas vingt
ans ! j’irais m’engager chez ces gens-là ! Voilà ce qu’il
me fallait… Qu’est-ce qui m’empêcherait de devenir général comme le
premier venu ? Quel malheur !
    Enfin, sur le coup de neuf heures, l’oncle
dit :
    – Il se fait tard… il faudra partir avant
le jour… Je crois que nous ferions bien d’aller prendre un peu de
repos.
    Et tout le monde se leva dans une sorte
d’attendrissement ; on s’embrassa les uns les autres comme de
vieilles connaissances, en se promettant de ne jamais s’oublier.
Koffel et Schmitt sortirent les premiers, le mauser et l’oncle
s’entretinrent un instant tout bas sur le seuil de la maison. Il
faisait un clair de lune superbe, tout était blanc sur la
terre ; le ciel, d’un bleu sombre, fourmillait d’étoiles.
Mme Thérèse, Scipio et moi nous sortîmes contempler ce
magnifique spectacle, qui montre bien la petitesse et la vanité des
choses humaines quand on y pense, et qui confond l’esprit par sa
grandeur sans bornes.
    Puis le mauser s’éloigna, serrant de nouveau
la main de l’oncle ; on le voyait comme en plein jour marcher
dans la rue déserte. Enfin il disparut au coin de la ruelle des
Orties, et, le froid étant très vif, nous rentrâmes tous en nous
souhaitant le bonsoir.
    L’oncle, sur le seuil de ma chambre,
m’embrassa et me dit d’une voix étrange, en me serrant sur son
cœur :
    – Fritzel… travaille… travaille… et
conduis-toi bien, cher enfant !
    Il entra chez lui tout ému.
    Moi, je ne pensais qu’au bonheur de garder
Scipio. Une fois dans ma chambre, je le fis coucher à mes pieds,
entre le chaud duvet et le bois de lit ; il se tenait là
tranquille, la tête entre les pattes ; je sentais ses flancs
se dilater doucement à chaque respiration, et je n’aurais pas
changé mon sort

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