Madame Thérèse ou Les Volontaires de 92 - Pourquoi Hunebourg ne fut pas rendu
nous la montrant, dit :
– Hé ! hé ! hé ! ça va
bien… ça va bien ! le règne de la justice et de l’égalité
commence… Écoutez un peu !
Il s’assit devant notre table, les deux coudes
écartés. J’étais près de lui et je lisais par-dessus son
épaule ; Lisbeth, toute pâle, écoutait derrière, et Koffel,
debout contre la vieille armoire, souriait en se caressant le
menton. Ils avaient déjà lu la lettre deux ou trois fois, le mauser
la savait presque par cœur.
Donc il lut ce qui suit, en s’arrêtant parfois
pour nous regarder d’un air d’enthousiasme :
« Wissembourg, le 8 nivôse, an II
« de la République française
« Aux citoyens Mauser et Koffel, à la
citoyenne Lisbeth, au petit citoyen Fritzel, salut et
fraternité !
« La citoyenne Thérèse et moi nous vous
souhaitons d’abord joie, concorde et prospérité.
« Vous saurez ensuite que nous vous
écrivons ces lignes de Wissembourg, au milieu des triomphes de la
guerre : nous avons chassé les Prussiens de Frœschwiller, et
nous sommes tombés sur les Autrichiens au Geisberg comme le
tonnerre.
« Ainsi l’orgueil et la présomption
reçoivent leur récompense ; quand les gens ne veulent pas
entendre de bonnes raisons, il faut bien leur en donner de
meilleures ; mais c’est terrible d’en venir à de telles
extrémités, oui, c’est terrible !
« Mes chers amis, depuis longtemps je
gémissais en moi-même sur l’aveuglement de ceux qui dirigent les
destinées de la vieille Allemagne ; je déplorais leur esprit
d’injustice, leur égoïsme ; je me demandais si mon devoir
d’honnête homme n’était pas de rompre avec tous ces êtres
orgueilleux, et d’adopter les principes de justice, d’égalité et de
fraternité proclamés par la Révolution française. Tout cela me
jetait dans un grand trouble, car l’homme tient aux idées qu’il a
reçues de ses pères, et de telles révolutions intérieures ne se
font pas sans un grand déchirement. Néanmoins j’hésitais encore,
mais lorsque les Prussiens, contrairement au droit des gens,
réclamèrent la malheureuse prisonnière que j’avais recueillie, je
ne pus en supporter davantage : au lieu de conduire
Mme Thérèse à Kaiserslautern, je pris aussitôt la résolution
de la mener à Pirmasens, chose que j’ai faite avec l’aide de
Dieu.
« À trois heures de l’après-midi, nous
étions en vue des avant-postes, et comme Mme Thérèse
regardait, elle entendit le tambour et s’écria : « Ce
sont les Français ! Monsieur le docteur, vous m’avez
trompée ! » Elle se jeta dans mes bras, fondant en
larmes, et je me pris moi-même à pleurer, tant j’étais
ému !
« Sur la route, depuis les
Trois-Maisons
jusqu’à la place du Temple-Neuf, les soldats
criaient : « Voici la citoyenne Thérèse ! » Ils
nous suivaient, et quand il fallut descendre du traîneau, plusieurs
m’embrassèrent avec une véritable effusion. D’autres me serraient
les mains, enfin on m’accablait d’honneurs.
« Je ne vous parlerai pas, mes chers
amis, de la rencontre de Mme Thérèse et du petit Jean ;
ces choses ne sont pas à peindre ! Tous les plus vieux soldats
du bataillon, même le commandant Duchêne, qui n’est pas tendre,
détournaient la tête pour ne pas montrer leurs larmes :
c’était un spectacle comme je n’en ai jamais vu de ma vie. Le petit
Jean est un brave garçon ; il ressemble beaucoup à mon cher
petit Fritzel, aussi je l’aime bien.
« En ce même jour, il se passa des
événements extraordinaires à Pirmasens. Les Républicains campaient
autour de la ville ; le général Hoche annonça qu’on allait
prendre les quartiers d’hiver, et qu’il fallait construire des
baraques. Mais les soldats refusèrent ; ils voulaient loger
dans les maisons. Alors le général déclara que ceux qui
refuseraient le service ne marcheraient pas au combat. J’ai
moi-même assisté à cette proclamation, qui se lisait dans les
compagnies, et j’ai vu le général Hoche forcé de pardonner à ces
hommes devant le palais du prince, car ils étaient dans le plus
grand désespoir.
« Le général ayant appris qu’un médecin
d’Anstatt avait ramené la citoyenne Thérèse au premier bataillon de
la deuxième brigade, je reçus l’ordre, vers huit heures, d’aller à
l’Orangerie. Il était là près d’une table de sapin, habillé comme
un simple
hauptmann
, avec deux autres citoyens qu’on m’a
dit être les
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