Madame Thérèse ou Les Volontaires de 92 - Pourquoi Hunebourg ne fut pas rendu
conventionnels Lacoste et Baudot, deux grands maigres,
qui me regardaient de travers. – Le général vint à ma
rencontre : c’est un homme brun, les yeux jaunes et les
cheveux partagés au milieu du front ; il s’arrêta en face de
moi et me regarda deux secondes. Moi, songeant que ce jeune homme
commandait l’armée de la Moselle, j’étais troublé ; mais tout
à coup il me tendit la main et me dit : « Docteur Wagner,
je vous remercie de ce que vous avez fait pour la citoyenne
Thérèse ; vous êtes un homme de cœur. »
« Puis il m’emmena près de la table, où
se trouvait déployée une carte, et me demanda différents
renseignements sur le pays d’une façon si claire, qu’on aurait cru
qu’il connaissait les choses bien mieux que moi. Naturellement je
répondais ; les deux autres écoutaient en silence. Finalement,
il me dit : « Docteur Wagner, je ne puis vous
proposer de servir les armées de la République, votre nationalité
s’y oppose ; mais le 1 er bataillon de la
2 e brigade vient de perdre son chirurgien-major, le
service de nos ambulanciers est encore incomplet, nous n’avons que
des jeunes gens pour secourir nos blessés, je vous confie ce poste
d’honneur : l’humanité n’a pas de patrie ! Voici votre
commission. » Il écrivit quelques mots au bout de la table, et
me prit encore une fois la main en me disant : « Docteur,
croyez à mon estime ! » Après cela, je sortis.
« Mme Thérèse m’attendait dehors, et
quand elle sut que j’allais être à la tête de l’ambulance du
1 er bataillon, vous pouvez vous figurer sa joie.
« Nous pensions tous rester à Pirmasens
jusqu’au printemps, les baraques étaient en train de se bâtir,
quand la nuit du surlendemain, vers dix heures, tout à coup nous
reçûmes l’ordre de nous mettre en route sans éteindre les feux,
sans faire de bruit, sans battre la caisse ni sonner de la
trompette. Tout Pirmasens dormait. J’avais deux chevaux, l’un sous
moi, l’autre en main ; j’étais au milieu des officiers, près
du commandant Duchêne.
« Nous partons, les uns à cheval, les
autres à pied, les canons, les caissons, les voitures entre nous,
la cavalerie sur les flancs, sans lune et sans rien pour nous
guider. Seulement, de loin en loin, un cavalier au tournant des
chemins disait : « Par ici… par ici !… » Vers
onze heures la lune se montra, nous étions en pleine
montagne : toutes les cimes étaient blanches de neige. Les
hommes à pied, le fusil sur l’épaule, couraient pour se
réchauffer ; deux ou trois fois il me fallut descendre de
cheval, tant j’avais l’onglée. Mme Thérèse, dans sa charrette
couverte d’une toile grise, me tendait la gourde, et les capitaines
étaient toujours là, prêts à la recevoir après moi ; plus d’un
soldat avait aussi son tour.
« Mais nous allions, nous allions sans
nous arrêter, de sorte que vers six heures, quand le soleil pâle se
mit à blanchir le ciel, nous étions à Lembach, sous la grande côte
boisée de Steinfelz, à trois quarts de lieue de Wœrth. Alors, de
tous les côtés on entendit crier : « Halte !…
halte !… » Ceux de derrière arrivaient toujours ; à
six heures et demie toute l’armée était réunie dans un vallon, et
l’on se mit à faire la soupe.
« Le général Hoche, que j’ai vu passer
alors avec ses deux grands conventionnels, riait ; il semblait
de bonne humeur. Il entra dans la dernière maison du village ;
les gens étaient étonnés de nous voir à cette heure, comme ceux
d’Anstatt à l’arrivée des Républicains. Les maisons sont si petites
ici et si misérables, qu’il fallut porter deux tables dehors, et
que le général tint conseil en plein air avec ses officiers,
pendant que les troupes cuisaient ce qu’elles avaient emporté.
« Cette halte dura juste le temps de
manger et de reboucler son sac. Ensuite il fallut repartir mieux en
ordre.
« À huit heures, en sortant de la vallée
de Reichshofen, nous vîmes les Prussiens retranchés sur les
hauteurs de Frœschwiller et de Wœrth ; ils étaient plus de
vingt mille, et leurs redoutes s’élevaient les unes au-dessus des
autres.
« Toute l’armée comprit alors que nous
avions marché si vite pour surprendre ces Prussiens seuls, car les
Autrichiens étaient à quatre ou cinq lieues de là, sur la ligne de
la Motter. Malgré cela, je ne vous cache pas, mes amis, que cette
vue me porta d’abord un coup terrible ; plus je
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