Madame Thérèse ou Les Volontaires de 92 - Pourquoi Hunebourg ne fut pas rendu
regardais,
plus il me semblait impossible de gagner la bataille. D’abord ils
étaient plus nombreux que nous, ensuite ils avaient creusé des
fossés garnis de palissades, et derrière on voyait très bien les
canonniers qui se penchaient à côté de leurs canons et qui nous
observaient, tandis que des files de baïonnettes innombrables se
prolongeaient jusque sur la côte.
« Les Français, avec leur caractère
insouciant, ne voyaient pas tout cela et paraissaient même très
joyeux. Le bruit s’étant répandu que le général Hoche venait de
promettre six cents francs pour chaque pièce enlevée à l’ennemi,
ils riaient en se mettant le chapeau sur l’oreille, et regardaient
les canons en criant : « Adjugé !
adjugé ! » Il y avait de quoi frémir de voir une pareille
insouciance et d’entendre ces plaisanteries.
« Nous autres, l’ambulance, les voitures
de toute sorte, les caissons vides pour transporter les blessés,
nous restâmes derrière, et pour dire la vérité, cela me fit un
véritable plaisir.
« Mme Thérèse était à trente ou
quarante pas en avant de moi, j’allai me mettre près d’elle avec
mes deux aides, dont l’un a été garçon apothicaire à Landrecies, et
l’autre dentiste, et qui se sont fait chirurgiens d’eux-mêmes. Mais
ils ont déjà de l’expérience, et ces jeunes gens, avec un peu de
loisir et de travail, deviendront peut-être quelque chose.
Mme Thérèse embrassait alors le petit Jean, qui se mit à
courir pour suivre le bataillon.
« Toute la vallée, à droite et à gauche,
était pleine de cavalerie en bon ordre. Le général Hoche, en
arrivant, choisit lui-même tout de suite la place de deux batteries
sur les collines de Reichshofen, et l’infanterie fit halte au
milieu de la vallée.
« Il y eut encore une délibération, puis
toute l’infanterie se rangea en trois colonnes ; l’une passa
sur la gauche, dans la gorge de Réebach, les deux autres se mirent
en marche sur les retranchements l’arme au bras.
« Le général Hoche, avec quelques
officiers, se plaça sur une petite hauteur, à gauche de la
vallée.
« Tout ce qui suivit, mes chers amis, me
semble encore un rêve. Au moment où les colonnes arrivaient au pied
de la côte, un horrible fracas, comme une espèce de déchirement
épouvantable, retentit ; tout fut couvert de fumée :
c’étaient les Prussiens qui venaient de lâcher leurs batteries. Une
seconde après, la fumée s’étant un peu dissipée, nous vîmes les
Français plus haut sur la côte ; ils allongeaient le pas, des
quantités de blessés restaient derrière, les uns étendus sur la
face, les autres assis et cherchant à se relever.
« Pour la seconde fois les Prussiens
tirèrent, puis on entendit le cri terrible des Républicains :
«
À la baïonnette !
» Et toute la montagne
se mit à pétiller comme un feu de charbonnière où l’on donne un
coup de pied. On ne se voyait plus, parce que le vent poussait la
fumée sur nous, et l’on ne pouvait plus se dire un mot à quatre
pas, tant la fusillade, les hommes et le canon tonnaient et
hurlaient ensemble. Sur les côtés les chevaux de notre cavalerie
hennissaient et voulaient partir ; ces animaux sont vraiment
sauvages, ils aiment le danger, on avait mille peines à les
retenir.
« De temps en temps il se faisait un trou
dans la fumée, alors on voyait les Républicains cramponnés aux
palissades comme une fourmilière ; les uns, à coups de crosse,
essayaient de renverser les retranchements, d’autres cherchaient un
passage, les commandants à cheval, l’épée en l’air, animaient leurs
hommes, et de l’autre côté les Prussiens lançaient des coups de
baïonnette, lâchaient leurs fusils dans le tas, ou levaient des
deux mains leurs grands refouloirs comme des massues pour assommer
les gens. C’était effrayant ! Une seconde après, un autre coup
de vent couvrait tout, et l’on ne pouvait savoir comment cela
finirait.
« Le général Hoche envoyait ses officiers
l’un après l’autre porter de nouveaux ordres ; ils partaient
comme le vent dans la fumée, on aurait dit des ombres. Mais la
bataille se prolongeait et les Républicains commençaient à reculer,
quand le général descendit lui-même ventre à terre ; dix
minutes après, le chant de
la Marseillaise
couvrait tout
le tumulte ; ceux qui avaient reculé revenaient à la
charge.
« La seconde attaque commença plus
furieuse que la première. Les canons seuls
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